Madame Lefrançois
Le matin, quand Madame Lefrançois n’était pas là, je glissais sur la rampe en plastique doré jusqu’au rez de chaussée. Mais quand l’odeur d’alcool ménager se mêlait aux effluves de café jusqu’à l’étage, je descendais pieds nus sur la moquette, comme une bonne petite fille. Madame Lefrançois avait des yeux clairs qui ressemblaient à des fenêtres, et se plaignait toujours de son fils, qui ne s’appelait pas François. Elle non plus n’avait pas de prénom. Elle frottait avec son chiffon comme si elle voulait faire partir son chagrin. Il me fallait la laisser m’embrasser en passant, et sentir sa verrue poilue comme un cactus me piquer la joue avant de pouvoir filer.
Dzadza
Avec Dzadza, on allait aux boules. On aurait pu croire qu’il sentait le médicament à cause de ses problèmes respiratoires dûs à la Mine, mais c’était juste l’odeur de son tabac à priser. Il empoignait ma main le temps que je saute du petit muret. Au bout de ses doigts, ses ongles sales étaient striés comme les bonbons aux noisettes qu’il fourrait dans ma poche.
Grand-mère (reprise du cycle carnet)
Elle roulait les r comme son minuscule chignon gris, de la taille de mon poing d’alors, et corseté par de fines épingles. Il paraît qu’il enserrait la plus longue chevelure du monde. L’ai-je fait ou seulement rêvé ? Qu’importe, je la revois par l’entrebâillement, assise face à sa coiffeuse marbrée, ses cheveux libérés tombant jusqu’à la ceinture de son tablier, encore entortillés par leur forme contrainte. Je m’approche sur la pointe des pieds, saisis la brosse des deux mains, et la peigne doucement jusqu’à la fin des temps.
« Au bout de ses doigts, ses ongles sales étaient striés comme les bonbons aux noisettes qu’il fourrait dans ma poche. » Il me semble, c’est ça, un regard d’enfant, une pensée par ricochet, qui vise à maintenir un tout cohérent en constant élargissement. Jusqu’à ce que ça ne soit plus possible. Là c’est encore possible.
Oui c’est ça ! Toujours rechercher cet état, pour moi c’est la tâche de l’écriture. Merci pour votre passage.
j’aime la concision de vos textes et les images immédiates qu’ils font surgir
Merci Huguette. J’ai toujours peur de faire trop court, mais j’aime le concentré, invitant à mon sens plus facilement aux analogies, et au jaillissement.