« Profession du père : Néant »
J’avoue que j’attendais cet instant, à chaque rentrée des classes. Chaque année, j’essayais d’améliorer le mouvement. Vers les 11 ou 12 ans, je m’arrangeais pour ne pas regarder autour de moi, pour feinter et faire comme si j’écrivais « docteur » ou « manutentionnaire », bref comme si je n’écrivais pas néant. Je ne me souviens pas de la première fois où ce mot est venu pour répondre à cette question précisément, ni d’où il me venait. Il faut dire qu’avant l’âge de 11 ans, je lisais. Beaucoup. Tout ce qui me passait par les mains. Je me souviens que j’étais tombé amoureuse de ce mot. Néant. Encore aujourd’hui, je vois ce qu’on appellerait aujourd’hui un trou noir, attirant tout vers lui, la lumière, le temps, tout. Pour tout fondre en son centre. Dans un noir absolu, rassurant de par son implacabilité, son incorruptibilité, son mouvement éternel, incassable. Je souriais et m’amusait les premières fois en imaginant l’effet provoqué par la lecture de ce mot par le prof en cours. Les dernières fois, je m’en foutais royalement, universellement même, pour leur faire plaisir tiens. Néantiquement, pour moi. Que j’aime ce mot. Néant.
Je crois que, déjà à l’époque, c’était un mélange d’amour du mot, de volonté de choquer le lecteur d’autorité illusoire, d’être disruptive commondit, et d’attente. Déjà. Je cherchais déjà quelqu’un avec qui jouer.