#enfances #00 | Le Saldo

Derrière la tête du lit surgit le renard. C’est la marionnette d’une émission de télévision pour la jeunesse. Il a de grands yeux ronds qui ne clignent pas. Des yeux qui brillent. Sa bouche est sombre et sans aucune dent. Devant son écran, l’enfant attend qu’il ouvre la gueule. Il attend de voir la langue de tissus rouge collée au fond. Et la nuit, chaque nuit, le renard surgit. L’enfant entend le sommeil qui le quitte. Ça fait comme un bourdonnement électrique qui s’atténue. Il ne crie pas. Il n’ose pas bouger. Il reprend conscience de son corps. Une de ses mains dépasse du lit. Tout peut la prendre et l’entraîner dessous. Ne pas se manifester. Surtout pas. Alors il se met à l’écoute de la maison. Au-dessus, il y a les choses arrêtées dans le grenier. Tellement immobiles qu’elles semblent l’attendre. De l’autre côté de la cloison, dans la salle de bain, il y a Saldo. Il l’a vu. Un œil dans la bonde de la baignoire lorsqu’il sortait du bain. Saldo est né le jour où un invité, un étranger à la maison, un type venu de nulle part, avait débaptisé le lieu en « salle d’eau ». Cela avait mis l’enfant très en colère. Au début, la salle de bain lui avait paru juste différente. Et puis Saldo s’est mis à exister. Un crapaud bipède, plié sous la baignoire. La nuit, il se déplie. Il sort. Ouvre la porte. L’enfant veut crier, mais il a peur d’entendre sa propre voix dans le silence de la nuit. Il craint que la lampe de la chambre de ses parents ne s’allume pas.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).

4 commentaires à propos de “#enfances #00 | Le Saldo”

  1. J’ai la vague sensation que la langue est en train de changer par rapport aux textes précédents,mais je ne l’ai pas complètement en mémoire. Phrases courtes, une volonté de séquençage rapide sans doute pour mimer l’attention intermittente et le phrasé de l’enfant. Ca nous emmène spontanément dans une atmosphère à la Stephen King, peut-être y a-t-il, pour trouver une forme d’inspiration à aller aussi chercher du côté de l’ambiance des contes de Noël, puisque c’est de saison. A suivre.

    • Les contes, oui. J’avais ça en tête. Tim Burton plutôt que King, et quelques images de films d’horreur. Je crois que j’aimerais bien explorer cette forme de narration où on ne s’encombre pas de vraisemblance et de finesse psychologique. Quant au reste, peu de volonté de séquençage consciente, mais plutôt content d’en avoir fait preuve sans le savoir.

  2. J’aime beaucoup le fait qu’on suive les associations d’idées de cet enfant et ce Saldo qui prend son sens et à la fois l’effet ludique que cela crée en total décalage avec la frayeur enfantine.