La petite lève la tête vers des panneaux pleins de chiffres et les photos de hamburgers. La grande regarde les jouets du moment dans la vitrine, plastique moulé couleur feutre – ceux avec les bulles blanches autour, qui salissent les doigts d’un marron délavé, à force ; « Deux menus enfants et deux menus adultes s’il-vous plait » demande le papa au comptoir. Bip bip bip, sur les plateaux arrivent les deux boîtes à trésor – en carton rouge pétant – et leurs poignées jaunes bizarres. On part pour s’installer en terrasse. La petite jette un sourire à la grande, la grande aperçoit derrière la porte vitrée la nouvelle aire de jeu, la grande rend le sourire, espiègle.
Malgré le caractère exceptionnel de ce moment, les nuggets sont à peine trempés dans le ketchup ce jour-là, tout est dévoré en quatrième vitesse, les jouets restent dans leurs sachets et les sachets dans la boîte. Vite on demande aux parents, on a qu’une impatience, défaire les scratchs, retirer ses chaussures, les enfoncer dans les petits trous de casier bleu et s’engouffrer dans la structure de tubes colorés.
L’exploration peut commencer ! À l’intérieur ce n’est pas large, on avance à quatre pattes, ça fait du bruit, on croise d’autres gamins qui déboulent sans qu’on s’y attende, ça résonne, il y a des cris d’enfants, des rires, le plastique – rigide – est plus sombre à l’intérieur, mais la lumière passe quand même au travers. Ça monte et ça descend, ça part à gauche et à droite. Parfois on débouche sur un cul-de-sac fermé par un hublot. On se cogne les genoux à force d’avancer.
Il arrive que l’appel de l’aventure s’essouffle plus vite qu’il n’a commencé, à l’image des gâteaux qui gonflent lentement et qui s’aplatissent dès qu’on ouvre le four. La petite, lassée, a fini par sortir, mais la grande est toujours bloquée à l’intérieur. Elle ne trouve plus la sortie. Impossible de se repérer, elle tourne en rond : tout se ressemble. Elle ne s’est jamais perdue car il y a beaucoup de points de repères dans le vrai monde, l’arbre, la boulangerie, la boîte aux lettres… Mais dans ce petit labyrinthe tubulaire, impossible de se souvenir par où elle était entrée. Un cauchemar qui sent le plastique commence à gribouiller sa tête. Au coin, elle aperçoit de la lumière, elle se plante devant le hublot et son visage décomposé éclate en sanglots quand elle voit sa maman derrière la vitre. Une petite fille entend, vient à sa rescousse, la réconforte et lui montre le chemin. Soulagement. Un soupir, un « merci » à la lumière du ciel : la liberté a une odeur de friture.
Je me demandai si les angoisses étaient générationnelles en lisant. Mac do, nuggets, labyrinthe tubulaire, des mots inconnus pour certains. Presque dirais-je pour les vieux. Encore que les petits enfants nous en apprennnent… Mais non, qu’il s’agisse de plastique ou de forêt inextricable, l’angoisse est certainement la même, c’est seulement son énoncé qui change dans le temps. Merci pour cet update !
Sans doute y a-t-il des similitudes oui, la détresse n’a pas d’âge. Mais l’objet du rejet ou de la peur évolue. Les différences s’inscrivent selon moi dans une forme d’évolution du romantisme, dans ce mal du siècle qui s’est transformé et qu’on ne peut plus fuir, depuis les premières usines et les voies ferrées jusqu’aux temples artificiels de la consommation et de la malbouffe, qui nous englobent, nous enferment et nous rendent dépendants.
Comme c’est joli cette chute : la liberté a une odeur de fritures.
Merci
Merci ! Oui, est-ce d’ailleurs bien là une liberté, ou seulement ce qu’on en croit, ce qu’on en dit ?
C’est noté : ne pas goûter à l’Happy Meal !
Haha. Oui, le risque de se perdre soi-même dans ce gueuleton conçu pour les enfants à base de poussins demeure élevé.
On y est !!!! Et puis, un texte à plusieurs fonds : l’angoisse d’être perdue dans une forêt ou dans un labyrinthe de plastique est en effet la même, et puis en filigrane, avec cette chute que j’aime beaucoup, le regard amusé et critique…Merci !