#enfances #01 | Trois Personnes

You-You-la médecine apparaissait toujours dans un nuage odoriférant de camphre et d’eucalyptus, You-You aux yeux surdimensionnés encore agrandis par les verres épais de lunettes incrustées dans son nez de chouette, You-You au long corps de phasme incassable, à la voix dure proférant tant d’ordres, remplaçait malheureusement notre douce grand-mère alors alitée. Impossible d’être plus vielle, nous disions-nous.Sa peau de crocodile pendait sur ses joues si pâles et se pliait, se surpliait sous le menton gris. Au dessus de ses lèvres-lames une ombre de moustache inquiètes presqu’autant que ses yeux immenses où l’on croit s’apercevoir parfois reflétée sur le double ou triple foyer des verres. You-You-La-Loi chassait les chats de la maison, fermait la porte du jardin, rabattait toutes les portes, nous terrorisait tout le temps que durait la maladie. Pourtant, elle vint aussi accompagnée d’une femme au bras inoubliable car il était tatoué, un numéro qu’elle nous a montré une seule fois s’est enfoncé pour toujours dans notre mémoire comme si nous en étions responsables, car les mots « camps de concentration » et le rouge des joues des deux vielles femmes, si ardent, est passé en nous.

XXX

Le Docteur Lemoigne arrive avec à la main sa valise ventrue de cuir sombre qu’il pose à ses pieds.Nous le connaissons bien, c’est un ami avant d’être un docteur. Nous l’aimons autant qu’il aime les enfants. Un jour c’est une petite valise, un jouet, qu’il sort de sa grosse trousse, elle se superpose à toute force dans le souvenir, il nous offre une panoplie de ses instruments miniaturisés et le voila qui s’allonge sur le canapé, retrousse les jambes de son pantalon et se met à geindre en feignant de souffrir.Il nous présente ses longues guiboles blanches et il rit, la bouche grande ouverte, sans pouvoir s’arrêter. Nous devons devenir les infirmières, étonnées. C’est un jeu déplaisant malgré le grand intérêt que présente le maniement du petit stéthoscope car ses mollets poilus sont trop blancs et des dents manquent dans ce gouffre d’ogre qu’est sa gorge déployée de rire. Tout est inversé.

XXX

Le frère de Marmich est un curé, nous ne savons pas ce que ce mot veut dire. Il vit avec sa soeur dans une grande maison poussiéreuse où nous devons nous rendre une fois l’an à Noel. Marmich nous montreras un petit automate aux bras et jambes amovibles dans son nid de paille, bien protégé par une cloche de verre oblongue.Son frère le curé, très vieux, nous feras signe de le suivre et souriant mystérieusement ouvriras la marche en grimpant de longs escaliers. Une porte s’ouvre. Il marche à petit pas vers le centre de la grande pièce. La lumière s’abat sur une gare, tout se transforme d’un seul coup d’un seul. Le train est prêt à partir, le frère de Marmich devient l’un des nôtres, il rapetisse jusqu’aux rails, il ajuste la mantille de la passagère habillée de bleu-roi, redresse ici un drapeau, appui sur un bouton qui ronronne et le mouvement des wagons nous emporte à chaque fois sans un mot.

A propos de Catherine Veillon-Guilloux

Pratique la lecture, l'écriture, certains arts martiaux et l'art d'être grand-mère.

2 commentaires à propos de “#enfances #01 | Trois Personnes”

  1. Trois portraits attachants et solides que j’ai pris plaisir à lire. Avec une préférence pour le deuxième texte, que je trouve particulièrement juste et troublant dans l’expression du malaise de l’enfant. Le curé adepte de trains miniatures vivant chez sa soeur, ça fait aussi un très beau personnage.