Elle a en charge leurs quatre enfants, ce jour-là est celui de la rupture. Trente-trois ans dans ce pays, trente-quatre en novembre, on est en juillet, vers la fin, l’aîné a onze ans, les deux suivantes dix, et le dernier vient d’en avoir sept. Partir. Tout quitter. Un voyage en avion, une espèce d’hippocampe qui aurait des ailes dessiné en bleu sur un Super-constellation de la flotte battant pavillon tricolore, il doit avoir un nom – on aime à nommer, les bâtiments, les avions, les maisons – on aime aussi à les numéroter – pour les classer et les répertorier matricule ordre synthèse – ainsi sait-on à qui on a à faire – il fait beau le commandant de bord annonce, uniquement en français, qu’à Nice où on fait escale la température est de trente-deux degrés, le ciel dégagé et le vent faible, avant de poser, face à la mer, son aéronef. Seul maître à bord – cent cinquante sept passagers, huit hommes et femmes d’équipage, c’était un temps où les femmes étaient hôtesses et les hommes rarement stewards – tout ce beau monde en uniforme, gardez vos ceintures attachées et éteignez votre cigarette. Quatorze heures quinze. Les portes sont ouvertes, on descend sur le tarmac, on se dirige vers l’aérogare, en file plus ou moins indienne, les enfants restez-là, non pas de coca, tout à l’heure peut-être – le soleil brille, la chaleur monte du goudron et ça sent le kérosène et le pneu brûlés l’air semble flotter et briller d’un épais reflet transparent, le bruit des moteurs, la chaleur dépêchez-vous les enfants, dans le hall il fait sombre, c’est juste le contraste, il fait frais, il y a des centaines de personnes, des milliers et des milliers de mots qui s’échangent, incompréhensibles des cris des annonces des musiques, tout ce monde bouge, change, se transforme, lit mange boit va vaque court les bars les échoppes les odeurs de parfums celles des aliments qui cuisent, les militaires les uniformes, les hôtesses de l’air les commandants de bord. On marche, une glace ? non, un coca on s’avance,on s’installe, une table des verres, le soleil à travers les baies, au loin très loin, les montagnes de l’autre côté, on devinerait la mer, mais là, devant, les avions, les couleurs, la lumière filtrée et cette chaleur qu’on ne sent que peu mais qu’on voit, une cigarette non, tout à l’heure – et tout à coup le petit n’est plus là. Elle se retourne, le cherche des yeux vous n’avez pas vu… demande-t-elle aux autres, non, ils s’amusent et l’oublient, elle le cherche ne le trouve pas – les autres sentent que c’est sérieux, s’arrêtent – ce n’est pas normal où est-ce qu’il a bien pu disparaître ? Elle cherche des yeux, venez les enfants, elle tient les mains des enfants qui se taisent, l’avion repart dans un quart d’heure, des femmes bronzées robes à fleurs couleurs joyeuses les hommes en costumes chemisettes un tas de gens qui sourient lunettes de soleil passent cherchent la porte la valise le siège mais du petit, aucune trace. Rien. Un enfant, seul, ça ne se peut pas, on va le retrouver. Ne pas crier, ne pas s’affoler, regarder et chercher chercher encore – les enfants venez… elle tire sur les mains des filles, l’aîné suit on sentirait la peur sourdre du moindre mot alors on se tait, les bruits, les gens qui appellent, les gens qui rient et se retrouvent et s’embrassent, se tiennent les mains, les yeux se mouillent mais non, où est-il passé… pas le moment des gros mots, des injures des cris et des gifles, il va m’entendre – et derrière ces pensées, d’autres plus sourdes, enlèvement blessures mort peut-être mais non, non – on cherche, dix minutes, les appels sonores la porte d’embarquement, vite mon dieu le voilà – sans être complètement penaud, les doigts dans la bouche, short sandales t-shirt l’une des jumelles se précipite le prend dans ses bras, l’embrasse, vite la passerelle vite blanche vite l’embarquement, montez les enfants montez… et toi je te jure…
Piero, merci pour cette recherche qui transforme et retourne le désarroi… tout à fait ça, et vu subtilement depuis l’indifférence du premier frère dirait-on,
Bonne suite,
content de voir que la tentative de changement de point de vue a fonctionné (je ne sais pas exactement bien si c’est celui de l’aîné ou l’une des sœurs) merci à toi Catherine – et bonne suite itou
je pensais à vous et à ce jour sans savoir quand, comment, ce matin.
Là je l’imagine elle que vous nous offrez si bien.