vaguement le sentiment que quelque chose était à définir (définir ?) - un peu, j'écris ce codicille, mais tout devrait en être - je suppose : j'ai tellement aimé ce moment, ces moments - ça ne devrait jamais s'arrêter - et puis, quelques années après, on est là accroupis et on ouvre les bras, et eux, elles, eux elles se précipitent en riant et se jettent
Où ça commence, où ça finit ?
Surtout ne pas poser la question. Et se taire, comme alors. Est-ce que ça finit quand on commence à comprendre que notre corps change et changera et pas seulement de système pileux ? Retourner, se retourner, regarder en arrière, se souvenir et transformer comme on se transforme alors – peu à peu sans que ce soit tellement, du jour au lendemain, visible et perceptible. Entre le bébé et l’adulte. Combien, quinze années tout au plus ?
L’âge dit de raison – les dents de lait tombées, celles de sagesse non encore affleurantes, carnivores hein…
Il y avait dans les diverses équipes des gens qui ne mangeaient que des légumes; certains ne voulaient pas entendre parler d’œufs ou de mayonnaise. Ce film, Milarépa, celui de Cavani, où le type (c’est un poète) qui tient le rôle titre devient vert de peau – cet autre où le type dans son camion meurt de manger des herbes empoisonnées; la recherche des champignons dans les sous-bois; les pièges de la nature – ça n’existe pas, la nature : on dit « c’est dans ma nature » comme si ça ne se discutait pas, ou plus, ou que les choses s’étaient arrêtées et que plus rien n’avait la faculté ou le désir ou l’autorisation d’exister. Et donc le vocabulaire, les parents qu’on nomme papa maman, les sentiments qu’on tente de faire surgir ou resurgir, avec quelques mots agencés d’une certaine manière, façon, d’une sorte de style – juste quelques mots – je relisais « enfance » quelques pages tout à l’heure, dans un petit restaurant de l’avenue, tenue par une femme portugaise – une femme noire métisse entrait « bon appétit monsieur » dit-elle lunettes de soleil, boucles d’oreille créoles d’or, une habituée certainement, je lisais elle commandait une assiette de frites, j’en étais à la bavette échalotes – je ne calcule pas, dans ces cas-là (quels sont donc ces cas-là ? je ne sais pas exactement, je suis livré à moi-même, je me lève, j’en ai fini) je m’approche d’elle, lui touche l’épaule (elle porte un pull de laine bordeaux) « quelqu’un qui ne mange que des frites m’est a priori sympathique » lui dis-je «bon appétit à vous » « ah mais merci monsieur » je suis sorti je suis parti le livre de la Sarraute dans la poche elle avait demandé de la moutarde – j’ai oublié je suis parti – tu sais, les gens – il faudrait ne les connaître que disponibles disait Léo – ça n’a pas d’importance, je ne veux pas m’imposer, je veux pas comme pour toi, je ne veux pas l’embarrasser, ni toi, je passe simplement, juste un sourire suffit, un « merci monsieur » ce n’est pas que ça me comble mais ça me convient et ça me suffit, je ne sais pas bien, est-ce encore de ce temps-là ? On ne sait pas dire, on se précipite juste dans les bras ouverts, on se jette on sait qu’on nous accueillera, qu’on nous prendra, qu’on nous retiendra, retenus nous le serons mais nous, nous ne retiendrons rien et en courant nous nous précipiterons tout entiers
dans ses bras
Non, ça ne finit jamais
c’est ça, l’enfance
« et puis, quelques années après, on est là accroupis et on ouvre les bras, et eux, elles, eux elles se précipitent en riant et se jettent » l’image est très forte, alors le suis jetée dans le texte, magnifique… Merci Piero
tout est fort, l’image des bras ouverts mais aussi le ça me suffit après le merci Monsieur et ce qu’il y a entre
Muriel, Brigitte, merci à vous deux