Le lit se trouve devant la fenêtre. Les draps sont défaits, plis, humeurs, sur la table de nuit, le cendrier. Le tabac froid. La porte de droite donne sur la salle de bain, de là viennent des bruits d’eau fraîche innocente calme tendre. Au mur, au dessus du secrétaire d’acajou, fermé, l’image d’un temple dans le soleil, les arbres (certainement grenadiers agrumiers) donnent un air de joie et de fête. Le vert et les orangers. Les eaux des rivières sont loin mais on en perçoit le joli chatoiement. Il fait chaud dans la chambre, un parfum tente de rester et d’apaiser les sens. Tendrement. Il devrait y avoir une musique, quelque chose qui ferait penser à l’amour. Comme toutes les chansons. Dehors l’ombre douce et sombre du mûrier blanc plus loin celles des oliviers et des lauriers. On peut entendre au loin encore le murmure des vagues
la fenêtre est une baie, grande et claire – on peut voir au loin un horizon brumeux, quelques îles, quelques rochers. Sur le balcon, une table, deux chaises quelques plantes, des ombres et le vent frais, ce n’est pas l’hiver ça ne fait rien, c’est chaud et les tons sont beaux, quand même, une présence, quelqu’un dans la chambre, allongé qui lit, les voiles des rideaux, ce sont des carreaux de faïences au sol, trois couleurs, géométriques et alignés, vert blanc jaune une première porte va vers une espèce de cuisine, grise petite inutile sûrement, on ne s’en sert pas ce n’est qu’un prétexte, faire chauffer du café – une autre porte donne sur un cagibi, des objets pour nettoyer, des produits aux odeurs de solvants – le couloir et la porte d’entrée, blindée fermée, obtuse
c’est un grand lit, dit « taille de reine », ou de roi, des oreillers, des draps dans lesquels on conçoit les enfants, la chaleur tiède et douce – couvertures – il y avait autour ce truc qu’on appelait cosy-corner la lampe les livres le verre d’eau – parfois les médicaments – parfois c’est là qu’on meurt – je revois Jean-Luc Godard qui met fin à ses jours, en un sens, j’entends des bruits qui me disent que la grande asperge en a marre de souffrir, que miss Univers a pleuré, j’entends à travers la porte le voisin qui s’en va à six heures – à la fin de ce mois d’août-là, la merco a percuté à deux cents à l’heure l’une des piles du souterrain – elle devait être noire, le chauffeur avait bu, dit-on, la meute s’était précipitée et puis il était deux heures du matin – taille de reine, ou de roi, je ne sais plus
dans les tiroirs du secrétaire (ils étaient trois de même dimension, l’un était divisé en deux, au fond de celui du bas était dissimulée une petit alvéole cachée derrière des mousselines et des satins où se trouvait un flacon fait d’or et pierres précieuses (un filtre philtre, certainement), dans celui du milieu se trouvaient des papiers et des chemises de cartons, des photos, des documents administratifs et des relevés de banque) je n’ai jamais fouillé
je n’ai jamais pu fouiller – un jour de septembre elle s’en est allée seule – tout s’était déplacé la fenêtre était toujours baie mais donnait sur une cour aveugle au soleil, les rideaux étaient toujours de voile clair, il y avait toujours une porte qui donnait sur une salle d’eau, petite, à l’italienne disait-on – un petit rebord marquait l’entrée du bac qui n’en était pas un, ce n’était pas en étage, ce n’était pas un immeuble, ce n’était pas Paris
travail en cours achevé ou presque - ce que j'aurais pu faire (j'en ai usé pour le secrétaire) (les trois couleurs des carreaux au sol viennent directement, en droite ligne (c'est le cas de le dire: à la porte d'Aix, aller tout droit pendant quelques kilomètres : elle est là face à la mer (comme dit la chanson)) de la cité radieuse visitée ces temps-ci) ça aurait été d'ajouter quelques images, peut-être un appareil qui diffuserait quelque chose comme un film - j'ai retrouvé cette "carte postale" de la maison[s]témoin qui montre en sa toute fin l'une de mes scènes préférées du cinéma (certes, il y en a deux ou trois mille -je les oublie à mesure - celle-là reste sans doute - j'en termine comme de l'année) (mes vœux)
Génération cozy-corner
Et aussi génération cagibi
Merci Piero
Dans les odeurs de solvants, le trichloréthylène était mon préféré.
merci à toi Ugo
je conserve de ma lecture le lit à la taille de reine (forcément si confortable) et l’ombre douce et sombre du mûrier comme dans toutes les chansons
je ne sais pas s’il y a une seule chambre mais elle est vaste, je ne peux la parcourir et la vivre en un seul regard
ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre….Merci Françoise
Accepter de se laisser perdre, lâcher prise et alors quelle prise : impression de sauter sur un pied à la marelle mais comme s’envoler à chaque saut, plis et humeurs des draps, il devrait y avoir une musique, la cuisine petite grise inutile sûrement, l’odeur du cagibi, le lit « taille de reine » et la merco qui saisit, les tiroirs du secrétaire et celui où l’auteur ne fouille pas, et la force du dernier paragraphe depuis le « je n’ai jamais pu fouiller ». Merci, Piero,
Merci à toi, Anne
quelle merveille la première chambre ou la première arrivée de la chambre, et elle contamine les autres
c’est joli hein – c’est par là oui…Merci à vous