Mademoiselle Ricin, propriétaire de l’immeuble à deux étages, de la rue de la Verrerie Haute à Montpellier, du vieil appartement du premier étage que ma famille occupait. Grand échalas au visage émacié qui me fait peur, inquisition d’un œil toujours aux aguets, sécheresse et stridence de la voix, coups de talons dans l’escalier de pierre, éviter alors de sortir, attendre la fermeture de la porte d’entrée, respirer. Un jour elle m’a dit — retire tes mains de tes poches, c’est très mal élevé. Pas de paix pour son âme. Un jour elle a reçu d’un locataire en colère une lettre remplie d’insultes, elle criait dans l’escalier, elle a trébuché, elle s’est effondrée, la jambe cassée. L’escalier est devenu paisible pendant deux mois. Le retour s’est fait sans talons, avec un rythme lent, presque sans bruit. Un immeuble métamorphosé.
Le vieux cousin Jean et son village près de l’étang de Thau. Je l’attends presque chaque jour de mes vacances. Il passe avec son vélo près de l’Esplanade, le béret incliné toujours sur la gauche, il me cherche, je suis cachée derrière un banc, je surgis, nous rions aux éclats, je monte sur la barre, nous nous embrassons et nous partons pour un grand tour du village ou un tour dans la garrigue. Nous nous arrêtons pour cueillir des mûres ou des pommettes à la bonne saison. Occasion de récits, d’histoire du village, de la famille, des voisins, de la guerre pas si lointaine. Quand il est mort subitement, le village n’était plus le même.
Mademoiselle Granier de l’école de piano J. S. Bach, dans toutes ses rondeurs de chair et de voix, accueille avec fermeté ses élèves tremblants pour la dernière mise au point de l’interprétation musicale présentée au théâtre place de la Comédie. Elle papillonne, tapote les épaules, redresse les têtes, inspecte les tenues vestimentaires, les chaussures, vérifie les partitions, halète, avance, recule singeant une fugue de Bach. Je porte une robe blanche brodée par ma grand-mère, de petites coccinelles animées à chaque mouvement, je suis fière de ma tenue mais je ressens une peur panique à me retrouver sur scène devant un piano assise à côté de Mademoiselle qui vient de me pincer le bras pour stopper les tremblements. Elle me dit — seule la musique compte, ne l’oublie pas, ne regarde pas la salle. Après je ne sais plus, tout enfoui, les coccinelles ont tout mangé.
Ah oui plus tard sera chanté (dans un autre registre) « tout pour la musique » – oui…
Merci Piero de ton passage, musical bien sûr
plaisir de te retrouver
Merci pour votre texte, inspirant, déculpabilisant ! Là, il est prouvé qu’il existe quelque part dans les territoires de l’enfance des sens communs que nous avons parfois bien oubliés. C’est l’art du maître de notre atelier que de creuser tout cela; comme si je connaissais moi-aussi Mademoiselle Ricin, Mademoiselle Granier et le cousin Jean. En fait, j’admets que les ai bien connus.
merci Alain de votre écho.
Voir surgir ces vieilles rencontres, comme les découvrir à nouveau et se sentir toute petite.
Oui c’est bien de creuser tout cela