Une ligne. Une ligne qui souligne le nom, soulignez à la règle pas de pâté pas de rond, une ligne bien droite, pêche à la ligne verticale entre ciel et eau, ligne de démarcation, de démarcation ? mais oui ça existe même dans l’eau. Eaux territoriales – les bateaux chinois , ils s’en fichent – ou rivière-frontière, attention, ligne de mire, ligne brisée, champ opératoire, rayon-laser, chairs sanguinolentes sur l’écran de contrôle, ligne rouge, limite, c’est limite, vous passez les limites, radar, ligne de côte, clandestins au petit matin, alignés. Comme leurs grand-pères à la guerre d’Indochine, envoyés. En première ligne. Le mur bien réel, bien concret, hideux, entre Israël et la Cisjordanie, c’est dans la ligne du Likoud, le mur bien réel, bien concret, hideux, entre les États unis et le Mexique, c’est en droite ligne des Républicains, en droite ligne du K.K.K. Et les gouvernements européens sont sur la même ligne, toutes tendances confondues, à aligner des milliards pour ériger à Melilla trois rangées de hauts grillages et de barbelés qui déchirent la peau, lignes brisées, corps brisés, au-delà de cette limite vos personnes ne sont plus valables.
Ligne de béton.
Lignes imaginaires, lignes frontières, Équateur, méridiens, parallèles, les parallèles ne se rencontrent pas, selon certains. Selon d’autres, oui, la déformation de l’espace-temps ça fait bouger les lignes moi je ne comprends pas mais j’admire. Je me mire dans la glace de la salle de bains, je trace une ligne au crayon brun le long du bord de la paupière supérieure et une ligne de kohl à l’intérieur. Une ligne de kohl, pas de coke. Les rides des soucis entre les sourcils, les rides du lion autour de la bouche, lignes de vie lignes de conduite. Lignes de fuite ? No limit.
Ligne de vêtements, ligne à accrocher le linge par beau temps, produits alignés au super-marché, boîtes alignées, étagères alignées, rayures alignées des robes bayadères et des pulls marins, caméras alignées, vigiles alignés, clientes alignées pour passer à la caisse, vous avez des caisses en libre service, en libre-service aligné, vous avez la carte du magasin ? Lignes tracées sur le sol pour la distanciation, pour la confidentialité, ligne de partage des eaux, ligne de partage des gens à l’aéroport, UE or not UE ? Surligner les passages importants c’est important, pour que ça rentre dans la tête des gens et qu’ils fassent ce qu’on attend d’eux, point-barre. Société surlignée, société cinglée, messages en boucle, vous avez été mise en attente, vous avez été mis en attente, en boucle la ligne, à l’infini, l’infinie bêtise des exigences du marché, acheter en ligne, paiement sécurisé, en trois clics je démarre ma vie numérique, restez en ligne veuillez ne pas quitter.
Ah ! la ligne, elle a franchi la ligne, la ligne d’arrivée, en premier, à deux dixièmes de secondes que ça s’est joué. À la ligne espace blanc pour recommencer un paragraphe à zéro – blink pluc la vache – à zéro-pour-cent le yaourt pour garder la ligne, hein, jogging à casque, tenue-héros, tous les dimanches c’est gratuit grâce à la mairie de Paris. C’est la dernière ligne droite, donne un coup de collier mon vieux. Moi je laisse ma main suivre le feutre noir sur la feuille, je laisse faire, je ne décide rien et à la fin je vois ce que c’est : un téton et deux yeux aux grands cils. Lignes noires verticalement parallèles sur le rideau blanc transparent, ombre de la croisée projetée par le soleil presque couchant, rectangles alternativement de lumière et d’ombre, suivant la course des nuages … Et la ligne mélodique à la main gauche dans l’impromptu de Shubert en C minor, quelle défonce, ça donne envie de pleurer. Ligne du cou de la pianiste, ligne des hanches, lignes ondulantes, ligne d’eau, ligne-anneau, roseaux, bambous, troncs des bouleaux, ligne sinueuse du sentier dans la forêt. Ou bien : ligne jaune, interdit de doubler, ligne pointillée des passages protégés à emprunter, barrière du péage, horizontale puis verticale après votre ticket. Et vous foncez. En ligne droite.
Tout un univers depuis la ligne. La structure de chaque paragraphe est en béton.
ah ça fait plaisir. j’ai mis mon grain de sel sur la pendule.
Doublon, me dit l’écran, irrité, vous avez fait un doublon, ah bon. ah si ! c’est sûrement une pendule arrêtée. d’où la question.
j’ai réfléchi à votre commentaire (ton ?) sur « enchevêtrements » (d’ailleurs je vois que tout le monde met ses titres en minuscules, je vais donc faire pareil à l’avenir) : « la structure des paragraphes est en béton » : est-ce-que ça veut dire que c’est trop dense, que ça manque de souplesse, de fluidité ?
Mille excuses, retour, tardif, mais retour. Je suis désolé d’avoir semé un peu de confusion par le côté laconique de mon commentaire qui ne se voulait pas du tout péjoratif. Par l’utilisation du « béton », je voulais souligner (tout en empruntant maladroitement un terme du texte) l’auto-référence interne et l’attention à l’évolution de la notion de ligne comme structure du fil général de l’ensemble que l’on suit avec plaisir depuis les frontières, à la ligne de fuite, vers la liberté, particulièrement dans les tournures des fins de paragraphe. Le texte est effectivement dense mais ne manque pas du tout de souplesse (chouettes réponses également au demeurant et tutoiement, absolument).
Belle et très réussie tentative (tant pis pour l’incohérence) d’épuisement d’un mot. Ça emporte bien