accordailles parce que c’est un de ces mots que je chéris avant qu’ils meurent totalement, comme un caillou ou une bille de bois ou n’importe quoi que l’on caresse, mais avec un sens ce qui n’est pas normalement le cas d’un caillou, d’une bille etc…
beauté, un goût qui nous a été transmis naturellement, avec quelques a priori pour avoir le plaisir de les dépasser… et puis bien entendu il y a la Beauté pour les poètes et les philosophes, la même avec des mots choisis et une interrogation éternelle en plus.
carrelage, son utilité et son caractère décoratif, du plus simple au plus noble, a pendant longtemps été, surtout au sud, une marque de la région, la province où on le rencontrait dans les demeures ordinaires… surtout, le plaisir sensuel de son contact vivant.
elle, mot qui peut se dire avec un rien de tendresse (mais en ce cas c’est plutôt un nom qui est employé), avec une distraction neutre, ou une hargne plus ou moins dissimulée.
éventail, objet qui avec l’âge m’est devenu amical, qui fut longtemps support de rêverie dans l’enfance et l’adolescence et puis très longuement objet exaspérant manié par des créatures que trouvais silencieusement grasses et avachies un peu comme des baleines animales sans armatures.
fille, une tendresse, une prolongation, une compagnie, une fierté ou un souci douloureusement aimant et pesant, une rivale sans qualité, une éternelle histoire recommencée à chaque génération avec plus ou moins de succès.
frères, voir soeurs ci-dessous
heurt, un désir et une crainte, un moyen d’éveil aussi pour jeter un corps qui s’éveille ou rêvait, pantelant un peu, dans le monde auquel s’adaptera vivement par un pas glissé…
imagination, mon défaut chéri qui me fait voir les choses, la vie, les gens d’une façon que l’on peut juger mensongère.
Limousin, souvenir ensoleillé même quand la pluie m’apprenait les odeurs d’humus et quand la neige brutalement nous bloquait dans une voiture sur une route dans la nuit, une naissance
Lyon, noyau, source un peu fantasmée de ma lignée, plus qu’Alger ou toute autre des villes d’où sont venues des pièces du patchwork qu’est notre famille ; les femmes, au rebours du bruit ambiant, étant, du moins dans notre cas, le noyau.
mère, une tendresse, un guide, un recours, dont on doit se détacher ce qui peut en faire un obstacle, parfois un amour/lien persistant sous un antagonisme qui ne cesse qu’avec l’âge et la découverte de la jeunesse de celle qui portait ce nom, longtemps après sa mort.
nonnes (de Toulon), un couvent-école, le souvenir de Thomas d’Aquin aux bons moments, une propriété si transformée qu’avait perdu son lustre, qui gardait un jardin sans plus aucune herbe ni fleur mais avec son vallonnement, une villa avec des ailes où n’avions pas accès, une allée bordée de buis et cahoteuse pour s’entraîner à la course – m’obstinais à fréquenter l’une puis l’autre des rangées de buis ce qui allongeait ma performance et la rendait fort peu performante – quelques baraques de ciment pour les classes secondaires et une ancienne ânerie dans un recoin protégé pour les premières et philos, avec un muret sur lequel refaire le monde ou parler chiffons.
Pékin, Dàlat lieux géographiquement, historiquement, économiquement (avec grandes différence entre eux bien sûr) existants, certainement importants mais qui, ne leur en déplaise, sont pour moi simples supports de rêveries familiales – enfin presque.
le Père Lachaise, lieu de promenades ennuyées ou joyeusement méditatives, d’amusement aussi en regardant, assise contre le mur d’une des chapelles qui dominent l’entrée pour prendre le soleil, mes semblables en visites familiales, touristiques ou pèlerines, mais toujours hors de leur presse quotidienne, visage un peu plus ouvert et gestes maladroits.
snobisme, un défaut que nous n’avons – la tribu – aucun titre à avoir et que nous méprisons bien entendu, un défaut dont je ne manque pas, même s’il est basé sur des qualités assez inhabituelles, pour les autres membres de la smala je crois qu’il ne porte pas sur mêmes critères et le suppose inconscient – mais comme me trompe toujours…
soeurs, amour, cohésion et luttes incessantes, éclats réguliers, accalmies parce que… ou sans parce que…, jugements subis, jugements que je m’interdis, admiration et incapacité totale de nous conformer les unes aux autres, et puis bloc soudé quand le faut – frères, amour plus simple, tendre et distant, compagnonnage.
Solliès, celui du pont, la villa touchante avec ses velléités réprimées de se déguiser en chalet, le plus grand tilleul que j’ai jamais vu et ce merveilleux couple, notables locaux, terriens et simples, secrètement cultivés, à la bonté rayonnante, et leur tendresse pour nous la petite smala… et puis un lavoir sous les arbres et une machine à faire des pâtes.
Tamentfoust, nom que j’aime, trace de l’ancienneté de ce lieu, reconquis après que, pendant près d’un siècle, il se soit mué en La Pérouse et c’est sous ce dernier nom que le magma de souvenirs personnels, d’histoires ou légendes familiales, m’habite avec l’eau fraîche de la fontaine vêtue de carreaux anciens, un goût de mouna à l’huile kabyle, les rais des volets pendant la sieste, les galopades dans l’allée, les oies de la ferme proche, la fraîcheur, l’odeur de toile et de corde du garage à bateau ouvrant sur la plage qui est tout ce qui restait il y a dix ans, et le plus petit bateau familial, l’une des deux anciennes annexes, le Coq sur son tin, l’interdiction d’y monter que nous ne respections pas
Pas pu attendre demain, ensemble nous partîmes ensemble nous devons nous lire ! Comme je souris à cette » ancienne ânerie dans un recoin protégé pour les premières et philos » et toutes ces notations très personnelles et vives qui éclairent un peu ce que j’ai lu de vous… et relance le flot de l’écriture toute en subtilité…
merci (à vrai dire les dominicaines disaient bergerie, nous disions ânerie avec humilité 🙂 )
Un dictionnaire qui ajoute au mystère. Merci, mais…
Des mots si simples pour la plupart… ils prennent ici une dimension qui porte à la réflexion – ceux de la famille particulièrement et puis ce « elle »… .
Quelle merveille et quelle écriture ! C’est doux et foisonnant à la fois et avec rupture parfois dans la langue. « Heurt » est-il à vendre ? Non, à emprunter peut-être ? Merci, Brigitte.
Merci Brigitte Célérier de ce dictionnaire tout en éclairages subtils et sensibles. Donne envie de replonger dans l’ensemble de vos textes …
Anne je vends rien… pas douée
et nos textes à tous sur le web sont je crois empruntables à condition de citer le nom de leur auteur
Votre amour des mots est communicatif. Merci pour ce beau dictionnaire !
Pour le coup, vous avez sans doute prolongé un peu la vie du mot « accordailles ». Une bonne action.
Et du coup, pour répondre à votre commentaire de l’autre jour, vous avez sacrément relevé le défi !
merci
Brigitte ! Je te lis pour me donner du courage… et je suis espantée, comme à chaque fois…
grand merci et tu me donnes le courage (bon il faudra qu’il se maintienne jusqu’à demain après midi) pour tente le 12 maintenant que, grâce à Piero Cohen Hadria j’ai de nouveau accès aux entrailles du site
Ah mais j’etais passée à côté, en partance pour le levant, que je les aime vos accordailles !!! Merci
🙂