Pas de cabane dans un endroit improbable, pas de bureau digne de figurer dans un bel ouvrage recensant les lieux d’où ont émergé, telles des vérités sortant du puits, les œuvres les plus encensées de la littérature mondiale. Jamais sa maison ne figurera dans la catégorie « maisons d’écrivains », celles qui vous rendent un peu fou d’envie et de frustration mêlées. Ni même dans les pages du magazine « littéraire » célèbre dans les années passées dans lequel figurait chaque mois un article sur les jolis endroits où telle ou telle célébrité de l’écriture nichait. De ces lieux qui font, après la mort des intéressés, de magnifiques musées où les touristes, par jour de pluie, entrent comme dans une église.
En classe de seconde, année charnière, pendant laquelle il avait été plongé dans un bain de vénérable littérature, il a commencé à s’imaginer écrire successivement dans une tour périgourdine, une belle demeure normande face à une boucle de la Seine, dans un mas provençal et dans bien d’autres lieux où à coup sûr il deviendrait célèbre . En sortirait des textes aboutis et des vers enchanteurs que la critique encenserait. Bien loin de la masure – ce n’est pas exagéré – où il lisait tantôt Montaigne, tantôt Flaubert et Giono et bien d’autres. Son goût pour François Villon n’allait pas toutefois jusqu’à envier sa vie et son sort. Il avait imaginé, malgré ses songeries, rester suffisamment discret pour exciter la curiosité de ses lecteurs.
Il en était revenu quand à la sortie du lycée, la réalité et la modicité de la vie familiale lui avaient imposé, momentanément croyait il, de renoncer à son puissant désir d’écriture.
La fréquentation assidue des meilleures librairies de la place et un rapport compulsif aux livres et à la lecture l’ont, le plus souvent, distrait de ses rêves d’adolescent et de jeune adulte sans toutefois totalement combler cette part de vide qu’il sentait en lui. Parfois, il me confiait que cela le conduisait même à collectionner de nombreux carnets dont, le plus souvent, seule la page de garde consignait quelques phrases.
Pour écrire, il a écrit néanmoins. Dans les bureaux successifs que son métier le conduisait à occuper. Il en a noirci des pages et des pages pour produire de notes de service et de rapports . De temps à autre, il s’inscrivait à des ateliers d’écriture. Pendant deux jours, cela provoquait en lui des sensations étranges. Tantôt il se disait que, décidément, ce n’était pas pour lui. Tantôt, au contraire, il se voyait délaisser son travail et « se mettre à l’écriture ». Ce qu’il n’a jamais fait.
Il a toujours réussi néanmoins, quelles qu’aient pu être les maisons qu’il a habitées, a édifier un lieu propice à entretenir son désir d’écrire. Reconstituant peu ou prou, les endroits où il s’était imaginé, dans le passé, que tous les écrivains écrivaient.
Aujourd’hui, il se pense sur la voie de la guérison. Ne collectionne plus les carnets, lis davantage pour son plaisir que par devoir et n’envisage plus d’écrire que de façon modérée et presque secrète. Autant dire qu’il lui suffit d’un ordinateur et d’une pièce confortable et paisible, sans autre considération.
se déc
se décaler dans la fiction pour établir le lieu précis de l’affrontement et avancer !
Je suis conscient de ne pas être en phase avec les » indications » d’écriture . Dans le moment, j’essaie de m’ astreindre à écouter les vidéos , à m’imprégner des consignes écrites et surtout à retrouver un certain plaisir d’écriture, comme j’avais plus ou moins réussi à le faire avec le grand carnet. Mais quand on a une imagination limitée malgré toutes les lectures du passé et du présent, c’est assez laborieux il me faut le reconnaître…
Texte très agréable à lire, le fossé entre ce qu’on imagine comme lieux d’écriture pour soi ou les autres, les écrivains reconnus, adulés, autorisés, les carnets où seules les premières pages sont remplies, tellement proche tout cela. Et la perplexité quant aux ateliers d’écriture. Respecter la consigne ou au contraire la contourner, comme s’imposer sa propre contrainte (ce que j’ai fait longtemps :)). Merci. Allons-y.