Suite de #1 Babeuf
Elle regarde l’enfant qui dort, les yeux cousus, son petit bonnet blanc sur son crâne chaud et mou, son corps candide et fragile qui repose sur le tissu tendu de la chemise blanche. Elle revoit sa blancheur perdue: le voile virginal des communiantes, ses doigts blêmes serrant le missel, ses ongles opalins, ses yeux de lait, l’ivoire sculpté de ses poignets, l’albe du front. Son chagrin transparent. Elle a rêvé, voulu et obtenu la blancheur, les draps propres, la vaisselle immaculée, la propreté ménagère, le voile de la mariée, le linge de corps, l’incolore, l’inodore. Elle a a rêvé, voulu et obtenu jusqu’à l’effacement la respectabilité d’un destin tout blanc. Elle regarde l’enfant qui vagit, le petit bonnet blanc sur son crâne chaud et mou, les poings minuscules serrés au bout des bras ronds, les pieds d’ivoire, la peau de lait. De quoi sera faite la vie de ce bébé, née le 28 juillet 1943, par une brûlante journée d’été ; la lumière éclatante lui fait peur. Elle anticipe une vie noircie par le soleil. Son autre fille est née pendant l’hiver 41 : une petite chose si maigre, si froide, si blanche qu’elle est passée comme un suppositoire, racontera-t-elle plus tard. Celle-ci est plus vigoureuse, plus rose, plus exposée. La chaleur fait flamber son imagination. Elle s’efforce de rêver pour elle d’un destin honorable : caissière à Noyon, massicoteuse à Bagnolet, répétitrice à Uzes, pionne à Divonne. Elle se trompe. Elle ne sait rien. L’enfant remue la tête dans son sommeil en signe de dénégation.
