Celle qui était toute petiote, toute jeunette, enfantelette, avec son premier bonnet à barbes de dentelles blanches, quand l’a prise et épousée, dans la chapelle au dessus de la mer violette, son matelot, le veuf en mal d’enfant, celle qui, elle, lui en a donné de beaux et même des qui ont vécu, et qui riait et lavait à grande eau les tomettes quand il s’approchait sans qu’elle le veuille ; celle qui, lorsqu’elle fut veuve, a maintenu sa famille en peignant sur des médaillons les dames et les beaux messieurs et qui a attendu, une barre entre les sourcils mais sans trembler assurait-elle, dans son logis qu’elle voulait bourgeois, près de Saint Jean, son tout jeune fils qui s’était embarqué pour les îles comme secrétaire sur le bateau d’un généreux ami négociant et en ramena les images presque rêvées dont il se servi pour peindre pour le compte d’un industriel le premier de ces papiers-peints panoramiques qui furent tant à la mode, dont la maquette est conservée dans un musée de la ville ; celle qui, longtemps fille et pourtant pas si laide, quitta enfin les casseroles de son farinier de père pour son farinier de mari, éleva tendrement la fille d’un premier lit, lui fit prestement trois enfants avec lesquels survécut à Noirmoutier, en grands coups de gueule, baisers, courage et bras retroussés quand il eut la sottise de mourir un peu trop tôt ; celle qui fit quelques pas dans la rue, vers la petite maison voisine, pour épouser un jeune ami de son père, travailleur agricole comme lui, tout juste veuf, fut toujours un peu souffreteuse, ou paresseuse disaient les mauvaises langues, éleva quatre enfants et vécut plaintive mais affichant bien entendu un courageux sourire récompensé par des attentions et assistances, jusqu’à un âge alors inusité ; celle qui portait un nom chantant la tarentelle, ou en tout cas l’italien, qui, à 24 ans, quelques mois après son premier veuvage, rencontra, séduisit, aima un jeune marin d’état venu de sa Vendée à Toulon, et longtemps après sa disparition régna dans son quartier près de la cathédrale, veuve estimée d’un premier maître, mère respectée de cinq enfants qui, oui, ma bonne dame, réussissaient plutôt bien, savez vous ; celle qui dans sa vallée sinuant entre montagnes rocailleuses dit très tôt adieu à son enfance, travailla et fit enfants comme sa mère ; celle qui abandonna son étal au marché pour épouser un charpentier de marine, qui traversa avec lui la mer pour chercher une vie plus large ; celle qui à un an s’embarqua, elle aussi, avec ses parents, qui fut repasseuse, femme d’un mécanicien des ateliers de marine et donna naissance à son premier fils dans un petit logis ouvrant sur le tunnel de l’amirauté ; celle qui avait la taille fine et un aigu visage souriant sous son chapeau de paille et son ombrelle lorsqu’elle marchait le long de l’allée de peupliers de sa maison de campagne, qui aimait accompagner au piano sa fille violoniste forcée et de meilleurs interprètes pour des soirée de musique sur la terrasse ou dans son salon en ville, et qui ne tolérait pas qu’un ou des hommes, quelle que soit leur autorité officielle, prétendent entraver son chemin ; celle qui était la cinquième d’une série de sept filles, qui se maria tard, eut trois fils dont elle était encore plus fière que son mari, vieillit, veuve, dans une moitié de leur grand appartement ouvrant sur un jardin botanique, aimait les rubans de cou comme la reine Mary et les pastilles à la violette comme je ne sais qui, qui ne se conforma pas à la règle en survivant à la sixième et septième des soeurs mais mourut quelques jours avant son centenaire, libérant ainsi l’ainée de ses brus, qui ne s’était jamais plaint si ce n’est des fugues qu’elle faisait dans l’effervescence des rues lors de l’indépendance enfin conquise du pays.
On les devine bien toutes celles là, merci ! M’intrigue le jeune homme des panoramiques (ça m’a toujours fascinée ces décors de papier)
Oh, oui, moi aussi. Brigitte, écris…
le dessinateur des Voyages du Capitaine Cook (éditeur Dufour)
Comme il y a de la vie dans toutes celles… tous ces destins de femmes suspendus à ceux des maris et soudain lâchées dans le veuvage, je trouve cela très poignant.
c’est tout de même souvent ainsi
oui. N’empêche, là, on le voit…
l y a aussi quelques veufs (pour se remarier)
Quel régal cette galerie de dames du passé… Ici aussi du courage dans toutes ces vies, comme si le premier d’entre eux était de donner la vie, de continuer de vivre, malgré les veuvages et les coups du sort.
comme j’ai brisé la chaîne je peux me permettre de les louer
Oui, ma bonne dame, y’a du monde, y’a d’la vie, de la couleur, de bonnes odeurs, le vent de la mer, des gens qui meurent et d’autres qui vivent, d’autres qui partent, y’en a même une qui devait avoir sacrément de caractère parmi ces « quelques celles d’avant »… Merci pour ce panoramique, Brigitte !
celle qui avait sacrément du caractère c’était la lignée maternelle et la bourgeoise lyonnaise (les autres sans doute ou du moins certaines mais pas tant en position de le montrer)
… être – ou pas – en position de le faire, oui, toute l’histoire de ces généalogies de femmes, il me semble ;)…
c’est de tout temps, les autres avaient au moins les plus anciennes, position de servantes ou assimilées, femmes d’ouvriers ou petits agriculteurs