Elle marche sur l’asphalte blême d’une rue ensommeillée, plaçant un pied devant l’autre, mécaniquement. Elle regarde à droite puis à gauche, observe le ciel blanc comme s’il pouvait lui indiquer la bonne direction. Elle avance à l’instinct depuis plus d’une heure, entraînée par le bruissement des feuilles et le souvenir des ambiances qui vont et viennent du fond de sa mémoire. Elle reconnait soudain le nom d’une rue, la Rue Tortueuse qui serpente, étroite et fraîche, jusqu’à l’église. Elle la contournera pour emprunter la rue en pente puis croisera le puits au toit ouvragé cachant la devanture de la fleuriste. Elle accélère le pas jusqu’à croiser le portail familier, où s’entrelacent le jasmin blanc et la vigne sauvage. Dans ce jardinet, les pieds de tomates, de courgettes et de framboisiers, les salades, les reine-marguerite et les roses trémières voisinent dans un verdoyant enchevêtrement. Elle a plaisir à démêler rêveusement ce fouillis champêtre, retrouvant souvenirs d’enfance et senteurs de voyages. Sa destination s’accote à ce paradis fleuri mais elle décide de faire un détour, empruntant le canal en contre bas. Elle ne veut pas arriver trop vite, trop tôt. Des libellules suivent sa progression vers l’escale à venir avant de s’enfuir vers l’autre berge. Reconnaîtra-t-elle le portillon de bois ? De quel couleur est-il déjà ? Bientôt elle n’entend plus que le pépiement des oiseaux dans les platanes et à ses côtés, l’onde verte du canal ondule vers l’océan. Elle pourrait la suivre, glisser sur les chemins, aussi légère et libre que le courant. Souvent, elle veut s’installer quelque part, l’instant d’après son visage devient pâle et, son sac à dos sur les épaules, elle reprend le voyage. Elle pourrait faire quelque pas, se laisser happer par l’envie. Mais ce matin elle franchit le portail, disparaît entre les grands arbres du bois, respire l’humus et leur sage majesté, traverse le pré piqué du rouge des coquelicots et surgit dans le jardin odorant. Devant elle, la maison est silence. Elle s’assied sur une chaise oubliée sous le poirier et emprisonne d’un geste souple ses cheveux emmêlés par la nuit. Ses paupières se ferment, alourdies de sommeil. De l’ombre soudain, un mouvement souffle l’étonnement : Tu es revenue ?
le jeu des temps employés donne une belle touche d’incertitude sur elle…qui fait qu’on a envie de lire la suite…de ce retour?
Merci beaucoup pour votre regard sur le texte.