et si c’était ça, si c’était toujours comme ça, cette impuissance à atteindre le fenestron parce qu’il est trop haut et elle trop petite, cette idée l’affole, elle sait que derrière il y a le ciel, l’espace, la montagnes et les arbres, elle les entend frémir dans le vent qui se lève, elle les entend gémir avant l’orage, frissonner alors qu’elle trépigne, se hausse sur la pointe des pieds, tend les bras jusqu’à ressentir une sorte de vertige, une perte d’équilibre ; elle grandira, ouvrir ce fenestron ne l’intéressera plus, ou alors elle sera partie avant d’y parvenir, ou alors, passée à autre chose, occupée à atteindre d’autres buts, en attendant elle se dit que c’est peut-être définitif, coincée dans une situation invivable, trop petite pour, elle en trépigne de rage
la mèche de cheveux qui lui barre les yeux tombe sur sa copie double alors qu’elle s’applique à rédiger d’après un sujet de composition française, quel nom débile, – sujet dont elle ne se souvient plus. Dans la salle de cours surchauffée le prof a tiré les rideaux afin que les élèves ne soient pas tentés de regarder par les fenêtres, pour ce qu’il y a à voir, la cour du collège barrée d’un bâtiment en préfabriqué, les marques effacées du terrain de sport et les buts de foot déglingués. La mèche de cheveux barre les yeux, le rideau noir obstrue la vue, et si c’était ça, si c’était toujours comme ça, empêchée d’observer, obligée d’affronter l’écran noir, à imaginer la lumière, elle en trépigne, alors elle écrit, elle écrit
il n’y a que ça à contempler dans cette chambre, ça et le goutte à goutte, en essayant d’effacer la douleur de la perfusion qui s’éternise, si c’était la seule douleur encore ; alors son regard se dilue dans les changements de couleurs du ciel, l’éparpillement des nuages qui tamisent les rayons de soleil. Quelquefois un oiseau vient zébrer le cadre trop sage, biffant d’un trait sombre la surface où se reflètent par instants des formes humaines. Son visage est irréparablement attiré par la lumière, non, elle ne veut pas du store fermé, elle veut suivre la lente variation du jour et de la nuit, du temps qui passe comme ça l’arrange, fermer les yeux, les rouvrir, respirer
elle se souvint d’un lointain hôpital avec sa fenêtre qui ne s’ouvrait pas ; heureusement parce qu’elle n’avait eu qu’une envie, au lendemain d’une opération qui s’était avérée plus longue et compliquée que prévue, celle de sauter et se jeter dans le vide, du haut d’un treizième étage, ça n’aurait pas traîné. Au lieu de cette tige à retirer elle se trouvait à nouveau greffée de haut en bas avec tout ce que cela impliquait de nouveau port de corset, de sacrifice de sa vie de, bac à passer, liberté à conquérir, laisser derrière elle le vieux monde, tracer sa route
ce qu’elle apprécie dès que la température le permet, c’est de laisser la fenêtre de sa chambre ouverte avec le rideau tiré sur un rectangle de ciel visible qu’elle contemple de son lit en s’endormant. Peut-être a-t-elle remplacé la petite lumière ou les étoiles phosphorescentes de l’enfance par ce tableau dans lequel flânent nuages, lune, oiseau, morceau de toit ou branche du citronnier qu’il faudrait raccourcir. Cette nuit elle a posé une couverture sur son drap en redoutant le soir où il lui faudra fermer la fenêtre, changement de saison oblige
Beau texte qui va crescendo dans l’émotion.
Je vous remercie de m’avoir lue, et pour votre compliment qui m’encourage à continuer…
De tension en tension jusqu’à cette fenêtre intime et libératrice. Glacée par cette enseignante qui ferme les rideaux, je m’envole, soulagée, sur votre phrase « flânent nuages, lune, oiseau, morceau de toit ou branche du citronnier, … » . Merci Rose-Marie Mattiani pour l’évasion
A priori peu inspirée par le sujet, ne me venait que des choses assez sombres, jusqu’à la branche du citronnier, belle vision rassurante, enfin ! Merci à vous pour votre retour positif.