Quand nous ne retrouvions pas quelque chose, le père disait, en regardant par la fenêtre, « je l’ai vu passer au bout de la rue, sur l’avenue de la Marne ». C’était toujours la même blague, une des blagues habituelles de papa. Dans la nuit, elle regarde en bas, la statue sans charme faiblement éclairée par une boule qui émet une lumière morne. Derrière elle, il dort, son souffle, le souffle régulier de celui qui dort sans difficulté. Elle sait que demain elle doit partir. La fin d’une histoire d’amour. Sait-on jamais ce qui est définitif ? Le vis à vis n’est pas très proche, les soirs d’hiver, quand les lampes s’allument dans les appartements, seule à la fenêtre du salon, elle regarde, la radio ou la musique diffusées en toile de fond, elle imagine des histoires, une paire de ciseaux pendus à un crochet dans une cuisine la ramène des années en arrière, quand elle a vu Fenêtre sur cour pour la première fois, qu’elle en a admiré l’atmosphère, « J’ai besoin de changer d’atmosphère, et mon atmosphère, c’est toi », et la construction, une femme occupée à préparer le repas familial tout en faisant des allers-retours pour vérifier que les enfants ont bien terminé leurs devoirs avant de passer à table et rappeler à son compagnon qu’il faudrait peut-être mettre le couvert, un homme seul, debout dans sa cuisine, écoute-t-il la même émission qu’elle, il tourne la tête, a-t-il aperçu sa silhouette se dessinant en contre-jour ? De l’autre côté de la vitre le ciel gris uniforme, gris tourterelle, de novembre. C’est le dernier week-end d’ouverture de l’hôtel. Malgré le vent, elle a ouvert la fenêtre, juste pour entendre le cri des mouettes, le sac et le ressac de la mer agitée. Plus le moindre cri d’enfant sur la plage. La saison est terminée. Le cycle du temps, rien ne se perd, tout se transforme. Des fenêtres en bois, le bois est peint en rose, des fenêtres récupérées, recyclées pour fermer les châssis, ont été semés et repiqués des légumes et des salades en ce printemps frileux. Elles sont ouvertes à la douce pluie, le soleil se montre timidement entre deux averses. Derrière se dessinent quelques roses aux teintes pâles. Il les cueillait pour les mettre dans un vase sur le petit meuble à côté de la télévision, près des photos familiales et d’une statuette de la Vierge rapportée de Lourdes il y a bien longtemps, et dans un autre sur la table de leur chambre. Un bonheur partagé. Il ne va plus au jardin, plus les jambes, plus le souffle. Le fils entretient le jardin quand il vient en visite, il cueille des roses, les met dans les vases. Elle, elle oublie, les plaisirs du passé, les gestes simples du quotidien. Rose fenêtre aux roses, vague à l’âme. La nuit d’obsidienne a laissé place à l’aube. Dans le soulèvement de la brume, l’horizon, rincé par la pluie, s’aquarelle. Les arbres dévêtus de leur parure d’été portent le deuil à leur pied. La lumière du soleil se diffracte sur les feuilles humides diaprant l’air de tessons aux nuances opalines. Au bord de la semaine, se reposer… un nouveau matin, une nouvelle promenade au bord de la rivière du deuil. Seule, devant la fenêtre, écouter le gazouillement des mésanges, chercher le réconfort dans le fredonnement du vent. Une larme coule sur la vitre. Frôlement de ses douces ailes. Souffle, murmure.
Un texte tout en atmosphère et poésie. Très belles descriptions et tournures, si imagées, à propos de brume et arbre entre autres. Deuil, nostalgie, un amour qui prend fin… Merci
une douceur,une poésie, posées avec sensibilité sur la vie
C’est sans doute la proposition de ce cycle d’été pour laquelle les idées et l’écriture me sont venues le plus facilement. Merci à toutes les deux.