Fenêtre grande ouverte sur le dehors où elle aperçoit le toit rouge en face et un morceau de ciel gris elle passe l’aspirateur dans la chambre de la petite qu’elle a grondée à cause des mots offensants d’enfant ma moquette elle est sale dégueulasse dits et répétés à elle la mère mi-rire mi-colère qui courbée en deux tous les soirs passe l’aspirateur ici et là et dans les coins tandis que la petite attrape sa poupée pour l’embrasser coller son minois sur la tête de chiffon les joues roses de coton le nez comme un bouton baiser refusé au père quand il rentre du travail dis bonjour à papa pas bonjour détourner la tête pas bisous ça pique pas commode le père renfrogné faut dire la mère répète dis bonjour à papa mais la petite collée à sa poupée ne veut pas s’approcher quand il remonte de la cave quand elles descendent l’escalier pour courir au dehors ou jouer quelques notes avant de faire à manger préparer le dîner ah tiens tu es là je ne t’avais pas entendu menteuse la menteuse elle fait bien comme elle peut le soir quand il rentre du travail se tapit à l’étage passe l’aspirateur dans la chambre fenêtre ouverte ne pas entendre le cliquetis les pas lourds dans les marches de béton ne rien entendre sauf les bruits de la rue les cris au dehors le moteur des voitures ou sa propre voix qui raconte l’histoire à la petite et la poupée de chiffon toutes trois assises sur la moquette rouille contre le flanc du lit la couverture de dentelle anglaise une histoire de princesse et de dragon dans un pays ravagé par les flammes une histoire qui finit bien comme dans les livres d’images elles se cachent là attendent que ça passe tandis qu’il fait son affaire en bas dans la cave qu’il s’assouvit assèche sa soif et sa désolation la mère fait bonne figure décrisper les sourires que la petite n’y voie que du feu ne pas effrayer la poupée collée à la poupée avec ses couettes et sa robe piquée de petites pommes orange et en même temps qu’elle lit qu’elle tente de lire le doux dragon et la grande princesse elle pense à lui l’autre le tout premier le garçon dont le prénom commençait par un G se demande comment ça aurait été si elle ne l’avait pas vu un jour pour la dernière fois à travers la vitre passager de la voiture de sa mère à elle au retour du lycée il marchait sur le trottoir avec cette autre qu’elle blonde et charpentée aux joues rouges c’était peut-être la chaleur de l’été le soleil de juin ou peut-être d’avoir trop marché côte à côte sans s’arrêter c’était peut-être de trop s’aimer elle a remarqué qu’ils ne se tenaient ni par la taille ni par la main a remarqué qu’ils ne se touchaient pas marchaient droit devant qui sait combien de temps ils ont marché qui sait s’ils ne marchent pas encore et sans se retourner qui sait quel cours pour les choses si elle avait fait arrêter la voiture pour baisser le carreau et dire bonjour c’est moi c’est peut-être la dernière fois que je te vois mais elle n’a rien dit n’a rien fait a regardé les deux marcheurs vers l’infini lui les yeux verts sous la chevelure épaisse elle blonde aux joues rouges venue après elle après elle et dans la fraction de seconde avant de les dépasser définitivement une dernière fois la tête tournée vers la vitre à travers le carreau de la voiture elle a revu la lumière blafarde du couloir entre les murs gris ou beiges sous les néons triste soupe les navets dans la soupe ou le chou elle la mouche dans la soupe tant elle s’est noyée ce jour-là tant elle a perdu un membre la mémoire senti la balafre tant elle compte les cicatrices un rendez-vous entre deux portes furtif pour torcher tout ça cette affaire torcher comme ça une première fois léger léger et courir après le bus qui n’attend pas dans le couloir se dire au revoir on reste amis promis fixer les yeux une dernière fois pauvres sourires pincés haussements d’épaules et dévaler les marches pour sortir remettre de l’air dans les poumons éclater de joie crier à la liberté recouvrée elle a ri tellement ri ri si fort dehors sur le trottoir à se décrocher la mâchoire elle a ri d’un jaune si vert qu’elle a cru vomir sur le trottoir elle a traversé sur le passage à grandes enjambées lestes et enjouées de l’autre côté déjà elle s’est retournée a cherché dans la foule la cour vide de lui déjà parti sur son scooter avec cette blonde en blouson de cuir ou l’autre encore la brune avec ses jeans bien affûtés les araignées partis ensemble sur le scooter pris le virage pour d’autres rives moteur hurlant traces de boue sur la chaussée eau de boudin et elle au fond de la marmite elle court toujours après le bus et quand elle court et quand elle marche elle cherche encore dans les villes les visages les regards mais ce n’est jamais lui surtout pas lui en bas pas lui dans la cave qui refermera bientôt le verrou métallique elle attend qu’il en finisse respiration coupée tête entre deux barreaux dans la cage d’escalier ça fait comme une fenêtre un poste de guet tandis que la petite force le passage à l’appel des chiens qui aboient au loin par la fenêtre du jardin et les cris de sa sœur qui demande qu’elle vienne jouer dans le soleil alors elle lâche sa poupée et elle court elle dévale les marches d’escalier elle dit je t’aime maman je t’aime tellement que j’en peux plus de toi je t’aime tellement que je voudrais t’avoir plus que je t’ai et elle égrène les mots d’amour avant de disparaître par la porte vitrée la laissant seule face au piano noir où elle voit son reflet comme dans un miroir avant de poser les mains sur le clavier fenêtre ébène où elle invente au son des sol fa mi ré do une chambre carrée chambre 113 moquette rase beige papier peint sur le mur et elle imagine une fenêtre rectangulaire quatre carreaux de verre un cadre de bois blanc et des rideaux épais bruns le lit est à gauche en entrant quatre pieds de fer une couverture de laine verte un drap impeccablement tiré dont on n’aperçoit qu’une bande blanche sous deux oreillers blancs immaculés comme souvent dans les hôtels il est posté là face à la fenêtre il regarde dehors épaules et dos carrés dans le cadre de la fenêtre les jambes écartées légèrement dans le jean propre et usé toujours le jean la chemise est blanche sur le dos carré c’était déjà ce dos quand il avait quinze ans il regarde dehors au loin la mer la houle légère l’eau grise sous le ciel gris dans l’atmosphère bleutée d’après-midi il ne bouge pas tendu vers le dehors la jambe gauche tremble imperceptiblement si on veut bien regarder et peut-être la main aussi qu’on ne voit pas plaquée contre la fenêtre au creux du ventre dans le ventre il est possible que la respiration soit plus forte qu’à l’accoutumée que le cœur s’emballe que la peau tressaille que les tempes bourdonnent devenues grises légèrement ce qu’elle verra peut-être quand il tournera la tête les stries au coin des yeux verts les paupières alourdies les joues creusées peut-être légèrement les marques du temps pour le moment elle ne voit que la nuque large sous la masse de cheveux restés bruns les épaules carrées le dos droit et la jambe plus bas qui tremble par intermittence qui frémit nerveusement dans la pénombre le contrejour dans le silence car elle a cessé de jouer est restée en arrêt la pensée trop forte a endolori sa tête et bientôt le bruit sourd des pas lourds dans les marches de béton et bientôt le cliquetis bientôt l’heure de préparer le dîner et puis vite rappeler les enfants.
Emportée dans ce tourbillon et tenter de garder un certain equilibre et ce texte au bord du drame mais toujours on est empêché d’y tomber, visuel ce texte, ces images qui défilent et jamais on n’est certain du sentiment raconté rire et danger difficile de trancher. Regrets et rêve… J’ai relu pour le plaisir. Et j’adore le style scooter virage autres rives trace de boue eau de boudin marmite. Très beau. Merci
c’est votre message qui me crée un tourbillon, merci à vous !
A bout de souffle, cascade, embarqué oui embarqué et pas sûr de revenir. Superbe !
Pas sûr de revenir ! Jolie façon de dire ! Touchée !
Quel rythme, quel flot d’images et d’émotions et ces touches noires et dures qui se cramponnent aux blanches… c’est très fort !
Alors on se cramponne! Merci encore!