Ce texte a été mis en voix à l’épisode 9 du podcast poétique La Marcheuse.
Bout de ciel aperçu par en-dessous en pliant les genoux dans une grimace légère strié verticalement par trois barreaux jaunes un paysage carcéral pudiquement recouvert d’un rideau translucide framboise amoureusement choisi chez Tati de l’autre côté de la fenêtre via son regard plongé genoux raidis au travers des barreaux un bâtiment un ancien garage paraît-il dévoré par l’amiante on devine le reste de l’immeuble dont les logements insalubres ont été évacués il y a quelques mois un dimanche matin le déchirement des vies au milieu des croissants des promeneurs dans ce temps d’avant photoshop elle s’était tant de fois demandé comment scier ces barreaux comment faire exploser la suie crasseuse accumulée jusqu’à la courette adjacente et laisser la lumière atteindre enfin son visage ce coin de paysage était si parfaitement déprimant dans ce qu’il montrait comme dans ce qu’il cachait qu’elle doute encore parfois aujourd’hui de sa réalité comment tant de laideur ne peut-elle être secourue ce fenestron c’est la vie sans espoir à portée de regard c’est la solitude inscrite comme un tatouage sur cet appartement un désespoir de poussière semble s’insinuer à l’intérieur comme cette suie noire qui s’immisce partout elle rêve d’une fenêtre absente qu’un simple mur aurait pu laisser advenir elle rêve d’une architecture végétale tout en courbes d’une révolution d’un renversement du règne du rectangle elle pose la main sur le mur adjacent salue les occupant.e.s d’à côté absent.e.s depuis si longtemps humain.e.s et non humain.e.s familles aux enfants bondissants carcasses automobiles poulets en sauce ici il y a cette cheminée qui semble sortie d’un magazine de décoration spécial Paris Homme-âge au Baron Haussmann c’est un rez-de-chaussée qui bruisse d’étrangeté elle cherche une porte doit traverser une cour aux pavés irréguliers mais soigneusement entretenus la gardienne ajoute paraît-il hum comment dire ce produit senteur de piscine à ses seaux de nettoyage l’ingrédient spécial qui rend sa brosse redoutable pour les êtres vivants de vert vêtus tout velus elle a d’ailleurs dit à sa mère de faire de même avec les mousses de son trottoir en vain sa maman est entêtée bref elle a tant arpenté cette cour que ses chaussures ont dû aussi contribuer à l’extinction de l’ancien règne végétal l’arracher avec méthode pugnacité légère mais continue quelle puissance à déployer sur 1 an 2 ans 10 ans elle doit traverser la cour pour trouver l’autre porte cachée dérobée de son second appartement son espace mental si grand avec ses pièces épurées mais que pour une raison inconnue elle n’a pas choisi d’habiter elle tente de se remémorer ce conte comment s’appelle-t-il déjà pourquoi ne parvient-elle jamais à convoquer ses souvenirs à la demande pas plus que l’ingrédient mystère de la gardienne barbe bleue ah le chlore et et et l’eau de javel elle pense au bleu de la piscine au petit pull marine d’Isabelle A. cela ne l’aide en rien à visualiser la porte les pensées qui vont et viennent à contretemps comme une musique de film qui arriverait en retard une erreur n’en doutons pas dans son logiciel de synchronisation interne il lui semble cependant que d’une fenêtre on voit l’autre appartement en tout cas les fenêtres de son appartement mental sont ouvertes sur la rue sur le flux un brin inquiétant des passants à vrai dire l’appartement est tellement vaste qu’elle sent qu’il possède plusieurs sorties là-bas au fond de souterrains invisibles sans doute mène-t-il à d’autres habitations à la décoration merveilleuse aux brocarts rouges et or des logements à la décoration d’avant-garde dans lesquels la saleté ne s’insinue jamais où l’on n’est jamais plié en deux pour déloger des bonshommes de poussière l’une des sorties la mène à un terrain vague des rails de train désaffectés au loin une zone idéale pour une rencontre illicite entre chienne et louve et si des inconnus pénétraient son intérieur par la fenêtre à son insu serait-ce ni plus ni moins que la mort ou quelque chose d’autre elle éprouve cette sensation que quelqu’un d’autre se promène déjà dans les parties cachées de sa maison ou est-ce encore quelque chose d’autre revenir repasser par la salle de bain à la baignoire un peu antique ou romantique immense forcément qui donne sur une alcôve en hauteur par laquelle elle pourrait sans doute tomber tête baissée dans le premier appartement si bien sûr elle se laissait aller à un geste maladroit