Son nez touche à peine le bas de la vitre elle est enroulée sur le siège avant pourtant c’est interdit d’habitude le nez collé au carreau elle entraperçoit dans le reflet taciturne ses sourcils sombres qu’éclaire à peine la blancheur pâle de son front et les mimiques à travers des adultes détournés à moitié sous cette pluie battante ou sous ce crépuscule leurs bouches et leurs doigts qui s’agitent leurs bouches grandes ouvertes le papillon de leurs mains qui s’approche dangereusement du visage de l’autre elle retient son souffle ses oreilles lui sifflent si fort qu’elle n’entend rien du tout du ballet de ces gestes et son ventre tout en bas s’empêche de couiner son ventre prend toute la place il bat fort et la brûle son souffle sur la vitre anesthésie l’image elle chantonne en sourdine pour faire semblant d’être ailleurs dans un bateau en pleine tempête en route pour l’Amérique comme Sophie qui en a vu d’autres elle va bientôt tourner la page se retrouver dans un foyer doux et chaleureux à contempler paisible un paysage de montagnes à travers une grande porte-fenêtre en surplomb du plateau avec rien qui arrête le regard à se dire que la quiétude serait maintenant de trouver quelqu’un qui lui ressemble un alter ego plus besoin du combat pour se faire une place et ce regard limpide qui coulerait tout seul d’une vitre à une autre quand les battants seraient ouverts sur la terrasse explosée de soleil un ricochet de l’œil qui viendrait jusqu’à elle et qu’elle lui renverrait à la place de mots se fondre dans le vert des sommets tout au fond dans l’à-pic des rochers oui il serait bien temps maintenant de se vivre moins seule de retrouver cette fatigue joyeuse l’insouciance d’avant attendre vigilante sans quitter un instant le trou noir et rond en face de son lit un sommier de palettes à ras du sol et une méchante paillasse de conte de fée posée dessus que la chauve-souris entre et se pose comme tous les soirs au-dessus de sa tête accroché tête en bas à la voûte de pierres parfois les nuits de pleine lune ou de voie lactée dense elle devine d’abord son ombre qui s’annonce avant de la voir affairée et anxieuse comme une petite bonne femme débordée par les tracas du quotidien rejoindre son endroit de sommeil même si c’est étrange qu’une chauve-souris dorme la nuit c’est peut-être la lueur de la bougie en-dessous qui la trompe mais même ensuite quand elle a fini de lire et qu’elle souffle la flamme la bestiole ne bouge pas ne lui fait jamais peur ne se prend pas dans ses cheveux comme dans ceux de Pierrette d’où elle ne peut plus la déloger elle aime bien ce trou rond sur le mur d’en face c’est comme si elle pouvait voir venir de loin du fond de l’utérus bien emmitouflée dans sa cahute elle a percé une autre fenêtre sur le mur de gauche là où se dessinait le contour d’une ancienne murée à quoi peut bien servir une fenêtre bâillonnée elle la ferme la nuit d’un grand panneau de bois en attendant d’avoir de vrais carreaux s’amuse le jour à regarder à travers le trou en imaginant bientôt le jardin de vivaces sèches et rudes qu’elle mettra à ses pieds les pierres qu’elle arrangera en rond et comment elle pourra planter de quoi se nourrir même si la terre est rare et peu profonde ici même s’ils lui disent que tout ça n’est qu’un rêve de gosse allumée mais elle n’a jamais aimé sentir la pièce derrière elle qui se reflète quand elle regarde dehors l’hiver à la nuit tombée et que l’on n’a pas encore fermé les volets le lustre rococo et les boules en verre vert pâle emprisonnées dans le filet de pêche suspendu au mur blanc le vieux buffet derrière qui prend toute la place et étouffe elle a l’impression qu’elle est en dehors du tableau à regarder l’image à contempler les drames et les secrets d’une tribu dont elle est l’étrangère le témoin sans parole ou le futur scribe contempler l’air de rien et de dos la répétition de leurs gestes dans la lumière étranglée et le formica bleu être capable de suspendre le temps de le faire revenir à l’envi et se sentir glacée victime d’injustice d’avoir tant de pouvoir chercher à rentrer dans l’image qui ne veut pas d’elle griffer mordre et pédaler contre la vitre pour effacer le cours des choses et créer la rupture dans ce prévisible qui ne l’accueille pas on ne lui a pas offert les mots pour comprendre les trames elle les a débusqué toute seule s’est fabriquée l’histoire et puis l’a raconté d’abord très fort et à tout le monde en essayant de convaincre de faire s’ouvrir leurs yeux combattre la morne succession des jours et puis s’est résolue à en garder le sens elle le suit à la trace il est dans ses prunelles couleur manoir hanté quand elle se détache de la pluie qui tombe dehors et de la dispute qui fait rage pour revenir dans son corps elle doit passer la vitre et se réintégrer elle n’est pas sûre alors de se reconnaître vraiment.
ouah !
et dès le passage entre les deux premières fenêtres
vais rêver/cauchemarder avec délice
ça peut emporter loin le manque de ponctuation pour borner la pensée, à chaque fois ça m’envole. Merci de ce temps à me lire en tout cas.
transporté !
Merci.
Voici une fenêtre très dense et d’un bien bel éclat !
d’ailleurs si on la brisait peut-être que chaque éclat de verre aurait aussi sa propre histoire à déplier..
Merci de cette lecture.
toujours cette belle écriture du point de vue de la petite fille…oui, on est transporté !