Elle aura bientôt un nom. Elle habitera ces pages en personnage autorisé. Elle écrit. Non pas sur un bureau, il n’y en a pas dans l’appartement et il y en aurait-il un elle lui préfèrerait la table. La grande en bois qui connait le mouvement régulier des passages. Dresser débarrasser, essuyer, poser un plat chaud, pas n’importe où, sur le petit rectangle d’osier tissé serré. Elle écrit sur cette surface où des coudes se sont appuyés, au-dessus de laquelle on a parlé fort. L’ayant acquise elle a ramené à elle tous les repas d’enfance sur des toiles cirées un peu craquelées mais aussi toutes les surfaces magiques. Banquet des noces de Cendrillon dressé en carton au milieu du livre et cette petite qui seule se recouvre de mets quand on le lui ordonne. C’est en ce lieu qu’elle croit écrire. Sur ces sédiments, sur ces mots. Parfois elle y place un ordinateur, parfois elle écrit sur un bloc spiralé bien épais. La table est placée dans un angle entre deux fenêtres. L’une ouvre sur une maison contre laquelle pousse un arbre de ville, l’autre montre une place, et des fenêtres hautes. Elle écrit. Parfois son vrai corps lui apparaît fugitivement. Les mains un peu déformées sur le clavier, les contours du visages reflétés par l’écran. Des voix montent et le ciel change. Depuis qu’il fait plus chaud, des oiseaux nouveaux sont apparus plus noirs que des pigeons. Elle s’interrompt et cherche leur nom. Puis revient au clavier. Ne pas lâcher. Aller un peu plus loin.
elle écrit comme on dresse la table, comme on nourrit, comme on sourit, comme la vie
Merci Brigitte. Ce commentaire m’aide à mieux voir le personnage qui émerge, à le distinguer de moi pour qui l’écriture ne va pas de soi..
« Elle écrit. Parfois son vrai corps lui apparaît fugitivement. Les mains un peu déformées sur le clavier, les contours du visages reflétés par l’écran. Des voix montent et le ciel change. »
Cette table à tout faire, je la reconnais intimement. Elle se partage depuis la nuit des femmes. Si elle pouvait parler , il n’y aurait même pas besoin d’écrire dessus. Eloge des tables taiseuses et bavardes à la fois.
Merci pour l’expression « table à tout faire ». C’est exactement ça. Ce commentaire ouvre mon texte.
Très beau…
et bienheureuse de retrouver ton écriture économe précise et délicate (ce que j’aime)
j’ai retenu : « C’est en ce lieu qu’elle croit écrire. Sur ces sédiments, sur ces mots. »
Merci Françoise. Très touchée par cette lecture comme toujours si attentive.