C’est étrange d’être attablé dans un café familier en compagnie de quelqu’un qu’on ne connaît pas.
_ D’habitude, le café est bon.
_ Ah, tant mieux.
_ Je me suis dit que ce serait un bon endroit pour parler un peu.
_ Bon…
C’est étrange de venir pour la première fois dans un café, en plus en compagnie de quelqu’un qu’on voit pour la première fois.
_ De toute façon, il paraît que je n’y connais rien en matière de café…
_ Ah…
_ Et c’est peut-être pareil pour la littérature !
_ Ah !
Est-ce qu’un café, c’est finalement un bon endroit pour parler de littérature avec quelqu’un dont on sait seulement qu’elle fait une thèse dans ce domaine et alors qu’on n’est pas censé le savoir ? Et le serveur qui prend son temps pour empiler les tasses derrière le comptoir !
_ Mais quand même, ça vous intéresse, la littérature ?
_ Oh, ça va bien au-delà…
_ Ah !
_ Mais peut-être pas la même que vous…
_ Ah, parce que…
_ Non, je vous ai vu écrire, en attendant le train, au dos de votre billet.
Pourquoi les serveurs ne comprennent-ils pas que parfois ce n’est vraiment pas le moment de prendre la commande ?
_ Un café, s’il vous plaît.
_ Oui…
_ Vous aussi, monsieur ?
_ Oui.
Le serveur repart en sifflotant, l’embardée du torchon sur l’épaule pourrait dire quelque chose.
_ Vous êtes toujours aussi malpoli avec les serveurs ?
_ C’est que je réfléchissais à la littérature.
_ Ça n’empêche pas.
_ Peut-être bien que si.
Pendant un long moment, on n’entend plus que le serveur qui sifflote, pourtant loin, au comptoir.
_ Pourquoi alors ne pas se demander si ce n’est pas malpoli vis-à-vis des gens de la SNCF d’écrire au dos des billets de train ?
_ En effet.
_ Bon…
_ Et alors ?
_ Je ne crois pas.
Un gros camion passe en faisant trembler les vitres. Ça tombe bien. Le temps de dire vraiment ce qu’il y aurait à dire de la littérature cachée.
_ Si on veut que ça ne soit pas lisse, il ne faut pas que ce soit trop poli, non ?
_ Ce n’est pas en jouant sur les mots qu’on fait de la littérature…
_ Je ne suis pas ici pour recevoir une leçon de littérature.
Le serveur a arrêté de siffler sans pour autant tourner la tête vers la table de fond de salle, la seule table occupée…
_ Excusez-moi.
_ Non, c’est moi.
_ C’est un sujet sensible, vous savez…
_ Pour moi aussi.
_ Dans ce cas…
_ Le café n’est pas si mauvais que ça.
_ Alors, peut-être, un autre, une autre fois…
_ Quand on sera prêt à ce qui va avec, oui.