C’est l’écoulement d’un fleuve et le vol d’un oiseau à rebours. C’est le ciel gris blanc en jour plat. C’est une silhouette sur la berge — une robe flotte — pieds nus il semble et marche à rebours du courant comme l’oiseau vole. C’est une charogne — un chien loup peut-être — ; c’est un arbre déraciné; un bidon, une bâche… ce sont choses qui vont au fil de l’eau; vite. Et vient le vent à l’arbre. C’est une futaie sur la berge et le vent imprime aux feuilles un mouvement. Il n’y a pas de son; c’est comme derrière une vitre. C’est une image. C’est juste une image et c’est un silence. C’est une main à la surface d’une eau claire, elle imprime à l’eau son mouvement. C’est une ondulation à la surface de l’eau. C’est un pied immergé ; le pied d’un enfant resté dans l’eau longtemps et sa peau s’est ridé. C’est un visage vu d’en dessous qui se penche. Deux trous noirs qui se rapprochent. C’est une pulsation noire puis le calme plat d’une eau stagnante. C’est une fenêtre d’où se voit un fleuve. C’est la terre avant le fleuve. C’est en surplomb un petit cercueil dans une brouette sur un chemin de halage. Ce sont des silhouettes noires et l’écoulement d’un fleuve. Il descend; il se creuse. C’est le ciel, un nuage flotte. C’est un vol. Ce sont des cygnes. C’est une silhouette à rebours du courant. Ce sont eux qui marchent au long du chemin de halage et poussent la brouette. C’est vu de loin et vu d’en haut. C’est soudain très près, à toucher le nom. Le nom qui est gravé. C’est son nom, il roule avec la boite.
Un regard de cinéaste ! Un petit film que l’on suit à la lecture et qui se déroule sous nos yeux intérieurs… c’est beau, c’est du… Nathalie Holt !
les yeux intérieurs ( c’est beau)
Elle est douce cette heure contre ce fleuve ! Toujours en amour pour ton écriture Nathalie (et j’imagine ta voix en lisant 🤎)
merci Rebecca je vais tenter de l’enregistrer
Muette la brouette ? Bien sûr que non, on entend le crissement sinistre de sa roue mercenaire. On voit le film et on l’entend. Celle ou celui qui écrit est muet.te, elle ou il paie sa dette, il ou elle se projette dans l’image de défunt.e . Il elle laisse passer l’image effarante et surréaliste. La mort a souvent des transports aussi saugrenus que brutaux. Le degré de civilisation se mesure à la capacité d’embaumer ou de convoyer dignement ses morts . C’est toujours à refaire, à filmer dans le vrai des pratiques. Merci pour ce texte.
merci Marie Thérèse. Le crissement de la brouette à quel moment l’entendra-t-on . La question du montage son me préoccupe et elle inclut bien entendu celle des silences
Merci beaucoup Marlen, Rebecca, Marie-Thérèse … juste un premier flux d’images. Je crois que c’est un peu hors sujet et vais encore tenter l’exercice sous un autre angle.
Le rythme magnifique/élégiaque que donnent « C’est » et « Ce sont ». J’ai pensé aux films de Pelechian. C’est très beau, Nathalie, on y retrouve ton regard photographique, attentif.
Merci Xavier … les films de Pelechian un monde à découvrir ( vite alors)
La désignation par « c’est » / « ce sont » donne une impulsion au texte et rend sa lecture tonique. Et le regard en mouvement suit toutes ces notations. Vivantes.
Merci Cécile
c’est l’évocation qui emporte un peu tout (j’ai pensé, je ne sais pas si tu la connais, à Mauricette Beaussart l’héroïne de Lucien Suel) – trop bien
Merci Piero. Vais « regarder » Lucien Suel je ne connais pas du tout…
C’est, c’est, c’est,c’est…C’est, comme vous savez merveilleusement toujours le donner à lire, à voir et à entendre, une collection d’aspérités discrètes, quotidiennes, à peine perceptibles, silencieusement traversée par la mort, comme un révélateur des images mises en boîte. Merci Nathalie Holt de nous placer « soudain très près ».
Merci Ugo.
Toujours ce talent fluide chez toi de nous entraîner dans les images, dans le flux, dans le flot … et puis le mot cercueil
c’est fort, beaucoup aimé me laisser porter dans ta barque et contempler toutes ces choses
Merci pour ta lecture et tes mots Françoise.