vers un écrire/film #2/2 | seize heures vingt deux minutes

La main tape le code. Six lettres. Un chiffre. Le message d’erreur s’affiche. La tête se penche, le front heurte l’écran; l’œil se colle ( l’iris mordoré taché de noir brun et l’angiome en forme d’étoile sur le bord gauche près de l’arrête du nez ). Les doigts tapent sur l’écran de la machine, le message d’erreur s’affiche. Les doigts. Le code. Le message. Les doigts tapent l’erreur… la gorge râle, elle jure. Je peux vous aider ? La femme en bleu prend le papier avec la référence billet; elle tape sur l’écran; geste précis ( chirurgical ). Elle porte des gants de latex opalin translucide, on devine par transparence les ongles manucurés; rouges. Une carte sort de la machine, puis une longue fiche avec languette — comme tirer la langue. La main gantée noue la languette au bagage. Elle tend la carte. L’embarquement se fera dans une heure et quarante minutes, dit la femme sous le masque qui couvre le bas de son visage et le nez. Les yeux de la femme sourient. Son front se plisse horizontalement (apprécier la finesse de la peau). Les paupières vertes sont cernées d’un trait d’Eye-liner noir. De beaux yeux, beaux du sourire qu’ils portent, beaux du masque qui les souligne — formaté le sourire des yeux. Doux cependant et rassurant malgré la tension imperceptible). Je vous invite à passer dans la file de droite, merci de présenter votre pass sanitaire aux hôtesse avant de déposer votre bagage. La main plonge dans le sac abdominal. Elle fouille; sort un porte-feuille; sort une carte postale. Un paquet de cigarette tombe. La main sort la pochette avec le pass. Attendre. Devant elle la file est dense. L’air est chargé de voix. Une voix synthétique dit des choses enregistrées en plusieurs langues; des voix sortent de vraies bouches derrière leurs masques. Il y a des cris de petits visages nus. Même un chien encagé qui aboie. Les yeux se tournent. Ils cherchent ce que l’oreille entend. Un sanglot. Quelqu’un parle… c’est une langue de consonance slave. Les yeux cherchent. Et tout est soudain immobile. Les corps se figent. La voix enregistrée parle d’un retard. Un retard général. Un incident. Parle d’annulation possible. Quelque chose d’incertain. La voix revient en boucle. Elle dit: une vingtaine de minutes probablement; on vous tiendra informés. Les corps pivotent, les bras portent des téléphones aux oreilles de leurs têtes masquées. Les têtes se tendent vers les écrans suspendus où défile l’information en temps réel. La main cherche son téléphone; elle trace le code sur le cadran de l’appareil, machinalement. Des SMS en cascade défilent. Il n’y a pas de message vocal. La main tape un numéro en aveugle, machinalement. Elle dit: j’ai oublié mes lunettes à l’hôtel. Elle ne dit rien de plus. Seize heures vingt deux minutes marque l’écran géant. Les secondes culbutent; les minutes… diodes électroluminescentes du temps. Elle pense qu’elle aura un retard d’au moins une heure. Merci de ne pas quitter votre place disent les hôtesses masquées. La main cherche dans le sac abdominal; elle sort le flacon pressurisé de Ventoline, elle écarte le masque. La baie se couvre alors d’une fumée noire. Des gens courent… Ça se rapproche… Restez calme, dit la voix enregistrée. Restez… dit-elle.

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

12 commentaires à propos de “vers un écrire/film #2/2 | seize heures vingt deux minutes”

  1. C’est dense, un texte qui avance d’un pas rapide. Je crois que c’était l’objectif. Bravo.

  2. Ça me fait penser à une scène rémanente dans un film, un souvenir tout à fait étrange avant le moment fatidique.

  3. Laurent, Huguette, Michael Merci de vos lectures pour ce deuxième essais en (1) Tenté d’éprouver pression et vitesse

  4. (je dirais l’Eurostar (« you’re a star » dit la voix) – la catastrophe le point de vue extérieur – le temps réel c’est joli comme expression…) (trop bien : encore)

  5. comme on y est dans cet embarquement, comme nous aussi on en aurait besoin de cette bouffée d’air !

  6. Beaucoup aimé ce texte Nathalie. Les gens sont peu à peu déshumanisés, deviennent voix, têtes, perception fragmentée de la réalité, et l’on passe des yeux réhaussés d’eye-liner noir à une inquiétante fumée noire ; d’un écran informatique à la baie. Y a plus qu’à tourner !