Je veux saisir Caddy dans l’encadrement de la porte à l’instant où son frère Quentin la regardant bascule dans la folie. Je veux saisir l’instant où cette image découpée dans un fragment de réalité absorbe toute la représentation du monde, l’instant d’une vignette arrachée au flux de la temporalité.
Une minute elle est restée sur le pas de la porte
Je veux saisir l’instant de cette apparition dans l’embrasure de la porte, l’instant vertigineux où l’image réelle se double d’une vision fantasmée, la sœur amante. Le désir incestueux étouffe. Dans la fulgurance de l’image miroir l’identité se dérobe comme un cadre de porte détaché de son armature.
Une minute
Je veux saisir l’instant du trouble, le bégaiement de l’image dans la multiplication infinie du moment présent, les bornes du temps fondues dans le plan, la lumière qui vacille dans l’éclat de la vitre, l’éclair du signal de mort.
Une minute elle resta
Je veux saisir l’instant où la jeune fille en robe de mariée est suspendue dans l’espace par un fil invisible, la violence de l’apparition. Je veux saisir l’image qui bouleverse toute tentative de sens, celle qui porte atteinte à la réalité même.
Une minute elle resta sur le pas de la porte
Je veux saisir l’instant d’après, sorti du flux temporel, la rétention de temps saisi sur un seuil de porte, l’instant devenu espace pur. Je veux voir la tache rouge grandir sur le cadran de la montre.
Une minute elle resta sur le pas de la porte et une minute après il la tirait par sa robe hurlant et sa voix déferlait en vagues d’un mur à l’autre
Je veux saisir la puissance d’un instant qui confond toutes les strates dans un emboîtement de miroirs, la submersion par le cri qui éjecte le présent hors de ses gonds, l’explosion du chambranle.
Je veux saisir l’écrivain visionnaire à l’instant où il fait tenir avec quelques mots le destin tragique de Quentin dans une seule image, où les lettres tracées sur la page détruisent toutes les certitudes. Je veux saisir l’instant où cette image se confond avec celle d’une mouette qui plane suspendue dans l’espace à un fil invisible. Je veux voir l’espace attaquer le temps et dénoncer son mensonge furieux.
One minute she was standing in the door one minute she was one minute she stood in the door one minute she was standing in the door the next minute he was pulling at her dress and bellowing his voice hammered back and forth between the walls in waves
Je veux saisir le surgissement du réel dans l’acte créateur qui lui donne vie, l’instant plein de bruit et de fureur de la perforation du voile.
Saisie moi-même ! Cette succession d’images sous-tendues par le fantasme de la sœur amante fonctionne à fond ! Et la boucle sur l’écrivain confronté à la puissance des mots (ou à leur impuissance…). Envie de lire la suite (et avant !)
Juste une bribe empruntée à Faulkner. Je retiens de cette proposition l’attention accordée à l’instant. J’ai lu votre texte, c’est beau comme du Giono.