Petit matin du premier jour de paye, c’est jour manège, jour foudroiement, elle sort dans le couloir tous les flocons d’une robe, les pas crépitent, le môme Sandro, casquette de foot fichée sur la tête, descendent en cavalant les cinq étages de marches, ne prendront pas l’ascenseur aujourd’hui, le cœur en tiroir, les jambes fertiles, vont courir piétons filants sur le tissu de la ville, trottoir large et droit comme une jetée, le brouillard d’hiver à ne plus voir le traumatisme, plus d’inquiétude devant la fête, les bruits voltigent, manège ambiant, le lourd diésel, catastrophe d’agrumes bouffis d’échappement, le gosse au bout du bras s’amuse, active micro du téléphone, sagesse universelle, l’oreille ne mourra jamais de faim, le tintamarre si fou qu’on oublie les feux verts, démarrages en trombe, les membranes vibrent à la périphérie du crâne, on est plié sur le bruit en riant plus fort encore, Sandro crie, enregistre, lève le bras, filer sur le trottoir, presque à renverser les tables de la terrasse du coin, Mehdi s’énerve, vous cassez la baraque, faut pas courir comme ça, c’est des polichinelles, faire de grandes signes, salut amical l’ami du matin, courir jusqu’en pharmacie, premiers achats pour rien, et le vidéo club, les locations du mois, tout derniers films, DVD les plus chers, allez c’est reparti jusqu’aux vitrines, plein la bouche, des gourmandises et viennoiseries jamais mangées depuis longtemps, sucre et beurre à foison, c’est le jour des fous, à tout se permettre, voilà le magasin de Madame Aïcha, les jouets en bois, les vieilles boîtes qu’on peut louer à la semaine, on se prend Richesses du monde, à rapporter demain, juste pour s’amuser une heure ça ira, et Madame Aïcha encaisse la location dans ses moustaches de chat, ses yeux filou cillent sous la petite lampe, vlan, retour dehors, c’est l’heure de sortie, la grande fanfare, beau défouloir, on court on court, et vite rentrer la tête sous le porche du supermarché, le corps déplié le long des réclames, Arthur fait son somme, pastèque déchue à même le sol, son chien les reconnaît, et v’la que je te jappe, Sandro glisse un billet dans le collier, il rit si fort qu’Arthur se réveille, nom de Dieu c’est quoi ça ? Ah mais voilà mon p’tit Bouchon ! Il se régale d’avance en lorgnant le bifton, Salut la compagnie, ils filent encore, roulant des mécaniques, Conservatoire, école de danse, c’est beau là-dedans, il y a de grands gens qu’écrivent sur des portées ! courir à travers champs, filer sur les sentiers, le tout bout de champ rêvé, Cléo de 5 à 7, ça joue de tous les rythmes, allons galope bonhomme, filer sur le boulevard, la seule grande avenue, boutiques Noisy-Le-Sec à Romainville, en avant toute, c’est l’avenue des joutes et des éclats, la médiathèque immense, panoplie de voiles, paquebot géant, serrer les bras de la mendiante de Roumanie, accroupie dans un angle, laisser encore de quoi, lui offrir un café au PMU d’en face, raconter la vie, raconter l’usine, et courir dans les travées, les rayons les livres, les ateliers d’écriture, les ateliers jeu vidéo, un monde à lire, tourner, parler, rencontres, jeux d’ombres, plein jour sous la verrière, les crottes de pigeon partout partout, lumières au bois des colonnes, et ce sera soudain, la faim dans le ventre, ils iront faire les courses arpenter les rayons, saisir des conserves en fonction des couleurs, le jaune aujourd’hui, abeille ananas, concombre jaune et poulet d’or, des pommes de terre, la glace à la vanille, flocons de maïs et pots de miel, passage aux caisses, revoir tous les voisins, et ressortir dans le froid renouvelé de la ville, s’atteler à la course, combien ralentie le poids des courses, les sacs à dos débordent et le ciel tonne, rendez-vous des ombres, petits rictus étranges, il faut plier bagages, car le début de nuit, c’est la sortie des morts, ils glissent sur les trottoirs, les yeux écarquillés, les bras sont démembrés, rampent sur les murs clignotants de lumières. Il faut rentrer en longeant les porches, robe en doux flocons et la casquette de foot, les figurines glissent comme un tramway, mouvant encore mouvant, sous les immeubles de la gare.
Un autre monde que celui où je vis ! Ce serait intéressant de faire une cartographie de la diversité des mondes où nous vivons à travers les textes d’atelier.
Un immense merci Danièle d’avoir pris le temps de me lire, cela fait vraiment plaisir… Communiquer quelle joie
Et oui nous vivons tous dans des univers si différents,
une telle richesse cette diversité dans l’atelier…
à perdre haleine cette course d’un jour emporte . Merci Françoise
Merci vivement chère Nathalie !! Oui, courir
la vie plus légère…
C’est flamboyant ! Le début, la fin, et le défilé de personnages du milieu, leur façon de traverser la page, cette accumulation de virgules pour chaque fois de petites épiphanies. Subjuguée, les flocons de la robe, la catastrophe d’agrumes, l’oreille qui ne mourra pas de faim… et mille autres. Et alors les ombres et la sortie des morts…
Merci, Françoise.
Merci tellement chère Anne,
Votre beau message est une valse à dix temps,
la folie d’une course pour crever les murs
devenir des fils électriques vivants, devenir transparents, juste pour le bonheur de courir = d’écrire
Merci Anne 🤗
oui on les voit..
Oui, parvenir à voir
Les êtres, les choses, les rues-paysages.. Voir. C’est le plus fou, le plus accompagnant…
Merci Brigitte 🤗
C’est comme un tableau de Brueghel ! J’ai beaucoup aimé !
Merci vivement Helena, c’est très surprenant d’y songer !!
Je vais essayer d’avancer ainsi, pas à pas, dans cette atmosphère de banlieue qui me travaille en ce moment… à bientôt chère Helena !