Vrombissement de la jeep. Elle couine de toutes ses parois dans les nids de poule de la piste. Cahots et entrechocs des sacs, des bidons d’essence, d’eau. Jurons du chauffeur. En wolof. En français. Rires. Une compagnie de perdrix rouges fuit devant nous en courant, une centaine de perdrix qui poussent des cris rauques, sonores, répétés, puis s’envolent, claquements de leurs ailes. Sifflements de branches d’acacias sur la carrosserie. Glouglou des rasades d’eau dans nos gorges asséchées. Et le chant burlesque de l’ami-animateur du groupe : qui c’est qui fait glouglou ? C’est la bouteille, c’est la bouteille, de chez nous ! Repris en chœur par tous les quatre, voix désaccordées, éraillées, comiques. Fous rires : non, mais t’as vu ta tronche, rouge, rouge de latérite ? Froissement de tissu pour arranger le chèche ; te voilà devenue princesse. Supplications : par pitié, un arrêt. Grommellement du guide : faut avancer. Clic clac des appareils photos. Crissements des pneus de la voiture qui dérape pour éviter une bande de vautours attablés autour d’une carcasse d’antilope. Le bruit sourd de leurs piétinements, de leurs ailes qui se déploient. Leurs cris puissants entre eux, leurs bagarres bruyantes. Leurs cris féroces pour intimider les hyènes qui semblent avoir le fou rire. Elles espèrent prendre part au festin, le signalent en grognant. Impressionnante cette curée, voir têtes et cous s’enfoncer dans la bête, admirer la rapidité du travail d’équarrissage de ces éboueurs du ciel. Exclamations d’étonnement, de peur. Inquiétant étrangeté. Envol des rapaces. Ronronnement du moteur. Ronflement de Paul qui s’est endormi, écrasé par trop de chaleur. Arrêt auprès d’un point d’eau. Des chèvres et leurs bergers. Salutations. Lente litanie pour donner des nouvelles. Et la famille, les enfants, les bêtes, le village ? Ça va, sewo. Rituel qui se déploie comme un chant sacré. Ritournelle d’accueil sous l’acacia. Cérémonie du thé. Par trois fois gargouillis de l’eau de la bouilloire versée sur les feuilles. Salutations. Démarrage fulgurant. Proche de nous, la danse fantasque d’une colonie d’autruches. Leur fuite à grande vitesse dans un tourbillon de plumes, de poussières, de cris peu sonores. Rappel de la danse des heures dans Fantasia : le ballet dansé par des autruches aux ballerines roses et en tutus, les crocodiles qui les font fuir. Nous sommes les crocodiles qui les mettons en fuite. Rappel encore des Autruches dansantes sous le pastel de Paula Rego, tutus noirs, carrures de catcheuses, jambes robustes. Bien différentes de ces oiseaux longilignes incapables de voler. Un arrêt. La jeep halète, elle a besoin de souffler. Comme un crépitement, la chaleur de la terre rencontre celle du ciel et nous enveloppe. Crépitement de la poussière soulevée par une masse noire qui avance lentement. Barrissements lointains dans les broussailles. Martèlements du sol. Une harde d’éléphants. La matriarche nous a repérés et s’approche menaçante, battant des oreilles, levant haut sa tête, elle semble immense, dangereuse. C’est un avertissement, crie le chauffeur. Nous battons en retraite vers le 4 X 4. Elle se calme. Nos battements de cœur s’apaisent.
C’était à Wasa, à l’extrême nord du Cameroun… Aujourd’hui c’est une zone de guerre, dévastée. Des villages fantômes. Le voile intégral pour les femmes. Des exactions. Boko Haram, longtemps en terrain conquis, bien qu’affaibli, continue de semer la terreur. Fracas des armes. Hurlements de haine. Cris de désespérance.
Dépaysement assuré. Magnifique cette onde multiple dans Wasa.
Les bruits qui viennent chercher un à un les autre sens, la chaleur, les couleurs, les mains poussiéreuses qui s’agrippent, les chaos, les yeux remplis d’éléphants, on y est
Quelques bruits, et la chaleur, l’odeur, la vision de cette scène avec la nostalgie qui l’accompagne. On y est, oui.