Le trou dans le rideau de dentelle, ce bébé de quelques heures, la musique dans mes oreilles, le à ce soir, la main de mon fils dans la mienne, bonjour ticket s’il vous plait, le courant d’air, le souffle dans ma bouche.
Le trou dans le rideau de dentelle. L’interminable déchirement dans la dentelle. Son démantèlement. Son cri lent et silencieux. Le suspendu de ses bandelettes blanches à chaque extrémité. Son espace étroit qui nous dévoile le monde. A peine. La violente tentation de passer la main dans ce trou. De l’écarteler pour voir plus grand. L’agrandir pour s’emparer de l’horizon. Ouvrir pour tout prendre. La lumière. Les nuages. Le ciel. Et la pluie. Et puis brusquement sa fragilité. Le filament. Le ténu. Sa vieillesse accrochée à un fil. Se dire que l’on pourrait le recoudre. Ou en découdre avec. Mais l’on s’iincline. On s’incline devant. Et on ferme un oeil.
Pôle emploi spectacles. Ce matin, à l’ouverture. Dans les bras d’une jeune maman. Un bébé d’à peine quelques heures. Son visage. Son petit corps. Minuscules. Au milieu de nos corps déjà usés. Nos demandes pleins la bouches. Nos inquiétudes sans réponses. Nos vies si fragiles. Ce petit être à ses débuts et déjà dans la queue immense de la précarité.
La musique dans mes oreilles. Fugace entre deux métros. Qui m’envahit. S’infiltre dans chaque pore de ma peau. Plonge dans mon corps et éveille. Eveille, réveille les fibres de mon être. Se glisse furtive le long des os. Fait danser le bout de mes pieds et de mes doigts. Me donne envie de me lever. Là tout de suite. Au milieu des costumes cravatés. Des pas réveillés. Des rivés sur leurs portables. La voix qui me pousse à devenir libre. M’affranchir des normes. Transcender l’interdit et vibrer, chavirer, longuement, devenir mouvement sous les regards.
Le à ce soir de ce matin. Ce murmure au creux de l’oreille. Ce susurrement filant dans les limbes de l’organe. Echo d’espoir et de retrouvailles. De je vais te regarder encore. Tu vas me regarder toi aussi. A ce soir. Et le temps jusqu’au soir. Le défilement des évènements. Et si on ne revenait plus. Et si il n’y avait plus d’à ce soir. S’il n’y avait plus de soir. Plus de toi et de moi. Si ce matin était notre dernier matin.
La main de mon fils dans la mienne. Ses longs doigts fins contre les miens. Sa peau et ma peau. Nos articulations qui se touchent et se croisent. Sa confiance et son amour. Se relier et non se délier. Se donner la main. Donner. S’adonner. Recevoir. Serrer. Prendre la main et la tenir sans la lâcher. Sentir le vivant de l’autre. Eprouver le geste d’être ensemble.
Bonjour ticket s’il vous plait. Cette voix impérative et criarde s’échappe de cette grosse femme plantée devant moi. Elle m’arrache à ma rêverie comme on tombe de son lit. Elle a mis son costume bleu et képi rouge signe de son autorité et rien dans son attitude ne laisse présager un trait d’humanité. Elle bouscule les rêveurs, les resquilleurs et les endormis. Avec pour unique fonction le contrôle du titre de transport comme le poinçonneur des Lilas du temps jadis qui faisait des petits trous. Cette grosse dame bleu marine vient d’oblitérer mon rêve. Elle vérifie le transport des corps sans se soucier du transport de nos âmes. Le trou du ticket ne me fait pas voyager autant que le trou de mon rideau de dentelle.
Le courant d’air qui saisit. Qui glace sournoisement. Qui persiste. Surprenant il s’invite dans ce train. Un train qui s’arrête en gare. Qui laisse sortir les gens et entrer le vent. Qui ne repart plus. Fermez moi la porte. La porte automatique. Qui n’obéit pas. Qui n’entend pas. Qui se fiche de savoir si vous avez froid. C’est un courant d’air. Qui ne se voit pas. Qui ne fait pas de bruit. Qui est là, c’est tout.
Le souffle dans ma bouche. Sa force. Un jour il s’éteindra.
Merci pour ce texte tout en douceur « et en même temps » tout en mouvements (comme la condensation d’un roman).
» Le à ce soir de ce matin. Ce murmure au creux de l’oreille. Ce susurrement filant dans les limbes de l’organe. Echo d’espoir et de retrouvailles. De je vais te regarder encore. Tu vas me regarder toi aussi. A ce soir. Et le temps jusqu’au soir. Le défilement des évènements. Et si on ne revenait plus. Et si il n’y avait plus d’à ce soir. S’il n’y avait plus de soir. Plus de toi et de moi. Si ce matin était notre dernier matin. »
Merci cher Laurent, à bientôt de te lire.
Touchée par ce texte sensible, mélancolique, un monde dans un trou de dentelle
Merci pour votre regard et votre lecture.
Au plaisir de vous rencontrer dans vos textes.
J’ai l’impression d’avoir été avec toi à Pole emploi. j’aimerais tellement être avec toi dans le métro. aussi je profite de la tendresse, de la brutalité, de l’angoisse, de l’éphémère, de la réalité de nos vies
Merci pour tes fragments si présents !!
Chère Cécile
Merci pour ton mot… oui, danser dans le métro parisien en direction de Pôle Emploi 😉
C’est pas très joyeux mais j’aime beaucoup les mots et le rythme qui mènent à Si ce matin était notre dernier matin.
Et, plus définitif : Le souffle dans ma bouche. Sa force. Un jour il s’éteindra.
En profiter de ces matins et de ce souffle. Les respirer à fond.
Merci.
Merci Bernard.
Je n’avais pas vu que ce que j’avais écrit était un peu triste. Mais je vois bien que oui…comme quoi les choses nous échappent.
A bientôt.
C’est très sensible et juste et un peu triste oui, ce trou dans la dentelle, ce « à ce soir » et la main fine du fils, et le bébé au pôle emploi et même la contrôleuse et ce beau regard, et sur tout ça qui le transcende
Merci Catherine pour ce joli message et votre sensibilité de lecture.
Bien à vous.
Merci Clarence. Fort ce texte comme une flèche qui va droit au cœur. Le rythme aussi, j’aime beaucoup.
Merci Mickaël pour ton droit au coeur. Bonne journée.
ces fragments T. si présents (comme l’écrit Cécile.) Ce courant d’air qui nous traverse. Merci
Merci Nathalie, je creuse comme tu me l’as conseillé.
Bises.
Et cela te va bien
os corps nos esprits face au monde tel qu’il est mais les deux mains et puis ce merveilleux bébé dans la file de la précarité (un dans os réunions pour l’avenir d’un lieu d’accueil en ce moment et la douceur qu’il nous donne)
Merci Brigitte pour votre regard.