Ecrire est un geste. J’écris. J’ai recours à différents protocoles suivant la destination, la visée de l’écriture. Professionnelle, j’ai été rédactrice en presse, le passage direct à la machine s’impose, sa fluidité magique, le pomme S/ctrl S au bout des doigts sans perdre haleine, pour que rien ne s’échappe, rien ne se perde, rien ne s’envole. Mais écrire à la main…
Ecrire à la main. Ecrire avec la main, la main au bout du bras, les articulations, poignet, coude, épaule, déliées, le bras relié au tronc. Il faut trouver l’assise pour tenir dans le temps. Ecrire est mouvement, la main courre sur la feuille, revient parfois sur son chemin, vérifie, poursuit sa course jusqu’au point, la fin de l’idée.
Ecrire est dessiner. A l’école, on apprend à former les lettres, à distinguer les minuscules des majuscules, avant de les associer. On s’astreint à recopier des lignes. J’avais une écriture de cochon, le stylo plume obligatoire, mal tenu, engorgé. Ma main était aussi rebelle, rétive au dessin. J’ai changé plusieurs fois de style d’écriture, allant vers le menu, allant vers le serré, n’osant pas m’emparer de l’espace de la page. Il faudra du temps, de la pratique pour que la main trouve sa vitesse de libération.
Ratures, ratages, ratés. Je rature mes carnets, mes cahiers, et j’aime ça, la main qui s’affole, la main qui s’enrage, pour ne laisser qu’un mot émerger d’un bloc de texte. Esthétique de la feuille raturée. Je ne déchire jamais un dessin. Un dessin raté est un dessin raté. Il porte en lui son ratage, son échouage. Dessiner comme graver offre peu de possibilité de reprise, de repentir. On avance avec l’accident. Il arrive que, quelques mois plus tard, un spectateur nous révèle la forme qui jusque là s’était refusée.
Résistance, marque, inscription. Le son du crayon, du feutre, du stylo qui se frottent à la peau du papier, viennent tester de leur pointe la résistance du matériau. Des gravures sur roche de la grotte de Cussac aux Sorts sur papier dessinés/écrits, perforés par le feu d’Antonin Artaud, écrire comme dessiner, éprouve le subjectile, le met à mal, exprime le désir d’inscrire durablement sa marque, de la laisser en dépôt. Dessin et écriture sont saisis d’une même intentionnalité, d’un même geste. On écrit, on dessine sur des squelettes d’écriture et d’images laissés par d’autres. On écrit dans l’écriture des autres.
merci, très beau – et ce point d’arrivée sur «écrire dans l’écriture des autres»…
Merci pour vos mots. J’avais dans la tête ces squelettes d’écriture, d’images, la dernière phrase est venue comme une évidence. Je crois vraiment qu’on écrit dans les mots des autres. Merci encore.
« Le geste d’écrire, c’est faire des palimpsestes » écrit Vilém Flusser. Très beau texte, merci.
Merci Jean-Luc ! je lirai votre texte, évidemment l’idée du palimpseste…
« Esthétique de la feuille raturée. Je ne déchire jamais un dessin. Un dessin raté est un dessin raté. Il porte en lui son ratage, son échouage » … merci pour toutes ces lignes précieuses Stephanie
Merci Nathalie ! Un mot pour dire que je suis aussi sensible à l’aspect visuel de tes textes. J’avais relevé (de tête) un cerf rouge sur fond blanc dans Averses.
( ah merci Stéphanie le cerf la neige … le rouge et le blanc – merci Stéphanie ) « On écrit, on dessine sur des squelettes d’écriture et d’images laissés par d’autres. On écrit dans l’écriture des autres. » ton texte me donne vraiment matière à penser et m’ insuffle ce matin le désir d’être plus concrète en écrivant.
Très beau texte, riche de toutes ces explorations. Tout le paragraphe « ratures » et ce qui est dit à propos du dessin raté, on avance avec l’accident, c’est ma démarche en broderie. Ton texte est superbe. Merci, Stéphanie.
J’avais noté nos affinités communes sur la photo illustrant ton texte. Merci Anne.
« écrire à la main » et vous lisant on voit le geste, l’enchaînement des gestes exactement
et tout le reste est à l’avenant
on dit que les écrits restent, échoués ou pas, jamais de repentir, c’et vrai…
et on glisse d’un paragraphe à l’autre en sentant qu’il va se passer quelque chose jusqu’au mot « Résistance », alors on entre dans la sensualité de la musique de l’écriture, de la peau du papier, du dur du mur de la grotte
on sait qu’on ne dessine ni n’écrit plus comme aux premiers jours du monde…
(merci pour ce beau texte qui touche)
C’est très visuel, très sonore aussi. J’aime beaucoup le passage sur les ratures.