Elle, dans l’entre-deux des jours avec et des jours sans. De jours normaux et de jours de désordre. Avec ces signes d’alerte qu’il fallait repérer très vite pour ne pas sombrer. Alors peur de trop de fatigue, d’une dépense physique ou mentale trop intense. Peur de la survenue dans le bas du crâne d’une migraine. Peur d’une névralgie nouvelle qu’il faudrait pouvoir maitriser rapidement pour qu’elle n’envahisse pas. Peur de ces insomnies où tout se rejoue à l’infini. Parvenir coûte que coûte à écarter le spectre d’une possible dépression. Peur de ce qu’il pourrait arriver si. Depuis l’enfance, les mots de la peur s’insèrent dans son vocabulaire: la menace des morts qui s’enchainent comme des avalanches, la crainte du miroir alliée à la honte du reflet, la répulsion face à la main du frère qui s’insinue là où il est d’interdit d’aller, le cauchemar de la tête d’animal qui surgit dans ce même miroir et le doute autour de sa véracité. Peur de ces voix venues d’ailleurs qui envahissent. Et face au monde où elle grandit, l’appréhension de se sentir incomplète, de manquer de lucidité, l’inquiétude de ne plus avoir de robe maternelle où blottir son visage, l’absence possible de printemps pour elle et du chant des oiseaux, la phobie d’être regardée, dévisagée, observée comme une bête fauve et de rester incomprise. La crainte de ne pas être entièrement, et d’être recluse dans la ouate d’un quotidien sans pouvoir en détacher le motif caché dessous, de rester enfouie sous la couche épaisse du non-être. Le trouble d’oublier tous les petits incidents de la vie qui partent à la dérive. Et la peur de la flaque dans l’allée à franchir, quand l’irréel prend possession de son corps et que l’on ne peur rien faire d’autre que se recroqueviller et attendre que cela cesse. Peur de la venue des voix à nouveau. Peur que le feu ne soit pas éteint le soir avant de se coucher et que les flammes vacillent sur les murs. Et l’angoisse de ne plus trouver les mots, de n’avoir plus accès à leur transparence, de ne plus pouvoir écrire, d’un jamais plus, mais peur aussi de finir l’écriture d’un livre, des critiques qui allaient suivre; Peur des mutilations de la mort, de ces absences toujours vives. Peur de ces présences invisibles et de ces voix qui envahissent l’esprit, des hallucinations qui font douter du monde réel et peur de passer de l’autre côté et d’y rester. Peur de ces vibrations de pensées et de cette folie qui guette, des crises de mélancolie, de cette hypersensibilité permanente et désespérée. Peur de ces voix qui volent autour d’elle, de perdre pied, de trébucher, de ne pas pouvoir se relever, de tomber dans le néant, de la fenêtre par laquelle on peut sauter, des médicaments que l’on peut avaler, de la corde à laquelle se pendre, peur de se suicider encore une fois, faute de retrouver un paradis perdu. Peur de n’arriver plus à vivre. Peur de déborder d’elle-même, de passer la ligne qui mène à la folie, de franchir cette ligne de la folie, de la folie dont on murmure qu’elle est atteinte. Peur de déraper vers la violence lors des crises. Peur de ne plus pouvoir guérir. Peur de vivre ainsi.Peur de rayer ainsi des jours et des jours de vie. Peur de perdre le contact avec le monde réel. Peur de la nourriture qu’il faut avaler. Peur de l’épuisement après des logorrhées de plusieurs jours. Peur des insomnies, migraines, palpitations, énervement qui n’en finissent pas de creuser en elle. Peur de penser à la mort en continu pendant les années de guerre. Et ne plus pouvoir assumer et choisir la délivrance. Virginia emplit ses poches de pierres et se suicide le 28 mars 1941 dans la rivière l’Ouse près de chez elle à Monk’s House dans le village de Rodmell.
[Codicille: J’écris « autour » de Virginia Woolf depuis des mois et ce texte a donc jailli tout seul. La consigne tombait à point! ]
je lis et je m’arrête là-dessus…
très fort pour moi
» l’inquiétude de ne plus avoir de robe maternelle où blottir son visage, l’absence possible de printemps pour elle et du chant des oiseaux, la phobie d’être regardée, dévisagée, observée comme une bête fauve et de rester incomprise. »
et la suite
tu as bien fait de t’emparer de cette opportunité autour de Virginia… merci…
Merci Françoise, et contente que cela trouve une résonance. Les peurs engendrent des peurs pour chacun d’entre nous…
Touchée par ce texte. Le personnage nait derrière les mots de la peur. C’est fort, merci !
Merci à toi pour ta lecture. Cette consigne a libéré des facettes de Virginia…
Touchée par ce texte. Le personnage nait derrière les mots de la peur. C’est fort, merci !
C’est hallucinant d’authenticité et pourtant c’est Virginia. Magie de l’écriture. Celle-ci est magnifique et dans toutes ces peurs qui lui appartenaient on se reconnaît ici ou là et on touche à l’universel. Merci, Solange.
Oui, certaines peurs font aussi partie de soi et peut-être que les coucher sur le papier permet de les tenir à distance…
Merci de ta lecture.