La place Camille Jullian de Bordeaux, un avant, un après. Rechercher sur internet quelques photos des années soixante-dix. Au centre un monument composé d’une colonne et de pierres provenant du mur d’enceinte de la ville romaine, en hommage à l’historien Jullian, spécialiste de La gaulle romaine. Des voitures garées autour du monument. Sur un côté de la place, la vieille église gothique Siméon toute cabossée, comme les immeubles alentour. La photo d’un noir et blanc médiocre accentue la situation de dépérissement de la place.
Une église toute cabossée, tellement elle a connu d’usages et de maltraitances. Vendue comme bien national à un particulier après la révolution. Ecole de mousses en 1836 ; au centre de la grande nef était suspendu un grand mât et des voiles, pour s’initier à leurs maniements. A la fin du 19e convertie en usine de conserves de viandes, poissons, fruits. Une idée d’Émile Teyssonneau l’inventeur de la clé à sardines. Au XXe siècle, nouvelle reconversion en garage automobile, pour finir en parking.
Années quatre-vingt-dix, tout bouge autour de la place Camille-Jullian, des fouilles archéologiques sont entreprises, un parking souterrain est aménagé. Les bâtiments d’habitation réhabilités, une maison de la presse bureau de tabac apparaît à l’angle de la rue du pas Saint-Georges, des cafés, des restaurants autour de la place. Le quartier reprend vie, oublié l’îlot insalubre du début du vingtième siècle.
L’église retrouve ses habits de jeunesse. La toiture en ardoises est restaurée, à l’intérieur les arcades gothiques sont reconstituées en pierre. Les non-initiés quand il poussent la porte de l’église, lèvent les yeux, éberlués, découvrent les affiches et comprennent : c’est un cinéma ! A l’extérieur rien ne le laisse supposer, ni affiche sur la façade, ni au-dessus de la lourde porte en bois. Juste une façade austère avec des ouvertures gothiques. A l’intérieur du mobilier religieux pour dire l’ancienne église du XVIe. La caisse est installée sous une double travée de voûtes supportée par des piliers aux chapiteaux couverts d’angelots et de feuillages. Au mur des tableaux imitation XVIIe. Un peu partout dans le hall d’accueil et dans les salles, des tronçons de stalles, des bancs d’église et du mobilier religieux, chinés dans les brocantes du quartier Saint-Michel. Des élèves de l’École des Beaux-Arts ont peint, sur les murs des salles de cinéma et des poutres de la charpente, des motifs religieux et des éléments de décoration, pour en faire un des lieux singulier de la cinéphilie bordelaise.