#écopoétique #01 à #10 | automne 2024

#01 étendue de la prairie
#02 ce qui reste après leur passage
#03 mais avant tout les jardins
#04 du latin aurum
#5 odeur de neige
#6 frapper-les-tambours
#7 luxuriance qui cache
#8 visible ou invisible
#9 s’enfoncer
#10 sombre biotite

#01 étendue de la prairie

La masse végétale prend possession des espaces pour peu qu’on la laisse tranquille et les arbres prennent leur temps pour s’ériger droit vers le ciel. Les créatures s’affirment en ces lieux telles d’étranges incarnations se déplaçant chacune à son rythme et à son allure. Elles sont sauvages, impossibles à discipliner — l’homme fabrique des affûts pour les observer.
On ne prend pas la nature, c’est elle qui nous prend, peu à peu, sans qu’on s’en aperçoive.
Pour ma part, habitant désormais au cœur du vert sur le flanc ouest du vieux massif central, je n’ai pas construit d’affût mais je dispose d’un observatoire. Et c’est depuis cette position dominante que j’ai découvert la prairie, je veux dire l’étendue de la prairie et ce qui s’y trame. Point question de silence, là, et même je pense que c’est complètement le contraire alors que le calme semble régner. Il m’a déjà fallu un premier cycle entier de saisons pour apprendre ces étendues ébouriffées et changeantes. Ensuite seulement j’ai pu les entendre. Un ensemble de souffles ou un ensemble de petits cris selon l’humeur du ciel, brise, vent en bourrasques, respiration du matin ou du soir, nuages averses orages. À la sortie de l’hiver, c’est presque rien, terre encore figée, chaumes givrés. De ce presque rien ça monte lentement au fil de la croissance des plantes, et ça se construit comme une symphonie dans des fréquences peu perceptibles par l’oreille, ça devient tumulte ça gratte ça frotte ça grignote ça craquète ça brasse ça rampe ça cogne ça flambe, ça ne s’arrête jamais, et même au cœur de la nuit avec les petites bêtes qui s’activent avec la lune presque entière à mâchonner le pied des herbes ou les graines éparpillées. Le silence s’offre entre ces bribes de sons vivants, matière d’interstices issue de la contemplation des étoiles.

#02 ce qui reste après leur passage

Le mieux c’est d’avoir des poules. Je les ai installées tout de suite. Enfin, le plus tôt possible. Parce qu’il fallait d’abord leur créer un enclos dans lequel il y aurait un grand chêne dans un angle pour l’ombre. Un enclos grillagé avec les bordures enfoncées profond dans la terre. Les prédateurs sont nombreux par ici, aptes à gratter pour se faufiler sous les clôtures — pas seulement les renards, aussi les fouines, les belettes sans compter les autours des palombes ou autres rapaces qui, eux, font fi des clôtures et pourraient en faire leur dîner. Puis nettoyer la petite dépendance en pierre, construire un grand nichoir et une échelle en bois récupéré, garnir de paille. Après seulement elle sont arrivées, trois jeunes rousses, apeurées au début. Une bonne semaine pour qu’elles s’acclimatent et sortent découvrir leur nouveau monde. A présent elles n’arrêtent jamais, toujours à cavaler, à gratter, à picorer l’herbe et les mottes. Tout ce qu’on leur donne finit par y passer, suffit de couper en petit les pelures, les trognons, les écorces. Non seulement elles sont familières et joyeuses mais elles font des œufs avec un jaune si intense en couleur qu’on mesure le soufre qu’ils contiennent, indispensable à nos articulations. Elles adorent les graines de melon, les peaux de raisin, les restes de riz, le gras de jambon. De toute façon après leur passage il ne reste rien. Elles ont des noms bien sûr, elles connaissent ma voix et se laissent volontiers prendre sous le bras et caresser sous la gorge.

#3 mais avant tout sans doute les jardins

Mais avant tout sans doute les jardins… dans cette affaire il n’y a pas de sans doute qui tienne puisque, ces jardins-là, je les ai aménagés de mes bras, y ai mis ma force au quotidien, et j’ai un souvenir précis du commencement des choses. Environ dix-huit mois en arrière. Rien qu’une friche en face de la maison qui servait de terrain de jeu pour le chien des propriétaires précédents, une friche définie d’un côté par une haie de lilas et d’arbres à papillons infestés de ronces, de l’autre par un muret moussu bordé de cytises. Mais avant tout sans doute le potager… touffes d’oseille et plant de rhubarbe poussé sur le compost en témoignent tout comme cet arrosoir déglingué oublié dans l’herbe. À noter un clapier au voisinage du talus, un magnolia pour le printemps, un rosier jaune pareil à un petit arbre, de ces espèces rustiques et parfumées qu’on ne croise plus que dans les jardins de province et qui ne cesse de fleurir tout l’été. Pas de trace de platebandes, l’herbe a tout envahi. Je me suis demandée de quelle couleur était la terre. Avant sans doute quantité de choux poireaux haricots carottes navets, tout ce qu’il faut pour une soupe, un pot à feu, un gratin selon la saison. La maison est au proche, bien pratique, et il y a de l’eau de source à l’abreuvoir pour laver les légumes. Les bêtes sont au pré, plus loin à l’orée des bois.

Le mot jardin implique pour moi l’idée d’une surface modeste, taillée à l’aune du jardinier et de ses moyens. À l’entour de la maison et de son potager, les espaces sont vastes, trop vastes, se chiffrent par hectares. D’où ce besoin de redessiner des petits coins pour planter, pour s’y sentir bien. J’ai vite repéré certains endroits protégés des vents et plus propices à la contemplation et à la confidence. Le bois de châtaignier disponible à volonté sert à construire des barrières, des sortes de petites frontières pour définir des parterres, autant pour les fleurs que pour les plantes potagères. Toutes se côtoient volontiers, s’harmonisent. C’est ainsi que de nouveaux jardins se dessinent, jardin de roses, jardin d’aromates, jardin de lecture, petites terrasses agrémentées d’hortensias et de géraniums sauvages avec allées bordées de graminées pour les relier.

#4 du latin aurum

Je me demande de quoi il pourrait être question dans l’exploration quotidienne de ce lieu devenu mien et terrain d’écriture, simple et attachant dans son costume de pays désert avec arbres très vieux et bêtes sauvages. Je m’empare avec mes yeux de ce qui est visible mais différentes réalités coexistent au-delà de la mémoire et de l’imagination. Pas de frontière précise entre le bois et la terre, entre le vent qui la balaie ou la neige qui la recouvre. Ce qui est caché rôde sans doute en arrière de leurs formes identifiées, sous le couvert des arbres, dans les rochers en profondeur. Ce qui rôde parle de menace. Voilà ce que je ressens et voilà où j’en suis dans ma propre histoire. L’image paisible saisie à première vue ne serait-elle qu’illusion ?

Je rencontre un certain Mr Dumas l’été dernier à la fête du village. Il me raconte le dépeuplement du village depuis la fermeture de la mine d’or. Dans les années 1960, près de 80 enfants fréquentaient l’école communale. Il en parle comme d’une fierté et semble regretter ces temps pas si lointains où il y avait du travail, donc plus de vie. Je n’avais aucune idée jusque-là de la présence et de l’exploitation d’or natif dans les granites à biotite de la région.

Or, du latin aurum. Ressource, richesse, numéro atomique 79. Beaucoup se sont tués pour en posséder une pincée.

Le gisement de la Petite Faye a été exploré depuis 1909. Déjà connu des Romains, le site est resté ouvert jusqu’en 1962 et a produit 321,30 kg d’or. Il faut vraiment que j’aille voir Mr Dumas pour qu’il m’en dise plus et qu’il me conduise sur les lieux du puits remblayé. La nature a dû reprendre le dessus. Je lis quelque part que l’accès au site est interdit. Propriété privée.

Souvent on parle de patrimoine perdu.

Plusieurs cavités souterraines sont inventoriées sur la commune dans un rayon de 2 km de la Petite Faye. On trouve trace de leurs noms. Les mines antiques de Cuculour et le Trou aux fées correspondraient à d’anciennes mines d’or exploitées jusqu’à l’époque gallo-romaine. Leurs positionnements sont imprécis, pour la mine du Mont Pelat l’âge indéterminé. Souhaitant accéder au dossier d’étude intitulé Relations entre sols et végétation sur des résidus d’anciennes mines d’or, je n’obtiens qu’une erreur de serveur. Nombreuses sont les pages qui ouvrent sur le vide.

Persévérer, continuer à explorer là où il est question de perte.

Je décide de m’y rendre seule. Les belles vaches limousines me regardent passer. Les bois respirent l’automne, rien de particulier. Je me faufile et le silence m’accompagne, de toute façon il n’y a personne. Il reste bien peu de traces, seulement des terrils encore visibles sur un terrain par ailleurs plat. L’ancien poste électrique est encore en place. Dans un document géologique, j’ai relevé à propos de la flottation, technique utilisée sur le site pour l’extraction : « Le minerai est flotté : un produit mouillant permet aux fines paillettes d’or de remonter en surface d’un lavoir. » Et puis plus loin : « Les boues issues de cette opération ont été stockées dans un bassin de décantation d’une superficie de 1,5 ha. » Je m’interroge sur la nature de ce produit mouillant et sur l’existence du bassin devenu marécage impraticable. Je le cherche mais je prends peur et me retire sur la pointe des pieds.  

Soulever un coin du voile. Les demandes de permis d’exploitation sont des « mascarades de démocratie », les risques passés sous silence. Le profit prime. La soif de l’or.

Au passage j’ai appris un nouveau mot : halde. Il désigne l’amoncellement de déchets et stériles issus de l’extraction de minerai. Sorte de synonyme de terril. Je vais demander à Mr Dumas s’il connaît ce mot et ce qu’il sait sur la pollution du lieu.

à fouiller bien au-delà... 
persévérer... oui continuer à enquêter, ne pas tarder à rencontrer Mr Dumas, retourner sur place, trouver les haldes et les photographier, interroger les éleveurs du côté de la Grande Faye...

#5 odeur de neige

(même lieu, jour d’automne)

Je me dis qu’avant ça vivait autrement. Il y avait le roulement des charrettes, les aboiements des chiens quand l’étranger pointait le nez. Il y avait les troupeaux qui remontaient depuis le chemin et passaient à frôler le bâtiment principal en rentrant du pré. Il y avait les bruits, les cris, les odeurs — l’odeur du fumier stocké à l’arrière de l’étable, l’odeur des ensilages, l’odeur de la terre mouillée, l’odeur des cuirs et des pelages, l’odeur du foin coupé, l’odeur des fossés, l’odeur de l’hiver qui court les bois, l’odeur de l’âtre, l’odeur des premières roses à l’orée du potager, l’odeur des sauges et des prairies, l’odeur de la soupe pour le cochon, l’odeur des champignons, l’odeur des châtaignes, l’odeur du bois fendu à la hache, l’odeur de la pluie qui frappe les ardoises, l’odeur de la neige quand elle tombait en quantité, l’odeur des tilleuls en fleur, l’odeur du four à pain, l’odeur du sang, l’odeur de la mort.

L’odeur m’apparaît soudain comme l’indice de temporalité le plus fiable, aussi puissant que les courbes de l’espace, aussi patient et endurant que les circulations des hommes et des bêtes entre les bâtiments. L’odeur me reconduit vers la pierre des murs, vers ce qui est incrusté là depuis longtemps, vers ce qu’on ne voit pas.

Avant, juste là, c’était un abattoir, voilà ce qu’on m’a dit.

Demeure la structure métallique entre les solives où étaient pendues les carcasses d’animaux et il est émouvant de la regarder.
L’abattoir est devenu garage depuis qu’il y a des voitures. Son histoire est dissimulée dans la toiture et sous la glycine qui pousse à son flanc.

Avant ça vivait autrement. Les familles visaient l’autonomie, les hommes s’entraidaient. Ils savaient remercier le ciel pour ses bienfaits, célébraient l’abondance des moissons. Ils ne mangeaient de la viande que le dimanche et encore.
Aujourd’hui la neige en quantité est devenue rare et l’odeur du sang a coulé profond dans la terre. Me reste l’odeur de la brume tenace, l’odeur des roses anciennes et l’extrême gentillesse de mes voisins pour m’y retrouver et m’accompagner dans cette géographie des siècles et des saisons.

#6 frapper les tambours

Ô pluies, vous toutes qui avez battu les rivages de mon enfance
courez par-dessus la mer, heurtez les falaises
aventurez-vous au cœur des landes, nourrissez ajoncs et bruyères
insinuez-vous, coulez glissez inondez

Vous toutes qui avez battu mon enfance,
avancez donc jusqu’aux hameaux
rafales grains ondées, cinglez mon visage jusqu’à ruisseler, créer des ruisseaux, revigorer les champs fissurés par de longues sécheresses

Vous toutes, ô pluies, je vous ai convoquées aux heures où brûlaient mes jardins
où étiez-vous passées ?
Je dansais comme les Indiens des plaines pour appeler à la trêve
frappais les tambours, récitais des complaintes

Je vous ai tant espérées
parfois je vous ai tant haïes, déluges fracassants acidités destructions derrière vous

Vous toutes qui avez battu mes paupières, alourdi mes cheveux
demeurez indulgentes et généreuses comme il faut
abreuvez nos corps, noyez nos prairies, circulez au profond des arènes granitiques
Vous toutes tant espérées
lavez aussi les feuilles d’arbre, purifiez les frondaisons, les lignes d’horizon
alimentez nos sources d’un chant clair

Les crotales s’en sont retournés vers leurs terriers
il vous suffira de les suivre.

#7 ni le touffu

ni le silence des arbres ni le touffu des herbes grises ou brûlées ni la dissimulation de l’ancien poste électrique sous les grimpantes à crampons qui recouvrent des murs entiers en un rien de temps ni la force des orages amoncelés depuis des décennies au-dessus de l’ancienne exploitation à ciel ouvert ni l’odeur de la neige ni l’odeur d’amande de l’arsenic ni le marécage dépourvu de visage ni la folie de l’or ni la soif de posséder (même pour échapper à sa condition) ni l’exploitation de ces paysans aux visages blêmes et à la respiration saccadée ni l’étayage approximatif des galeries avec du bois fragile ni la dose d’angoisse à descendre au profond de la terre et à respirer les émanations malsaines et même capables de tuer ni l’enlisement des dossiers ni la mise à l’écart des rapports d’enquête commanditées par les opposants ni le temps passé ni la quête de la vérité ni le corps des trépassés oubliés dont on ne retrouve plus les noms ni la mémoire bienveillante de Mr Dumas qui finalement ne sait pas grand-chose sinon que les habitants étaient nombreux quand la mine tournait et qu’ils faisaient des enfants et qu’ils avaient tous de quoi manger ni l’étourdissement à comprendre tout cela ni l’absence de traces tangibles de la menace

juste devant moi un bois anodin parmi les autres bois

juste devant moi soudain la luxuriance végétale devenue pareille à un sable mouvant qui cache la brûlure et l’évidence de l’avant dans l’après

#8 visible ou invisible

la rivière est partout | visible ou invisible elle parcourt le monde d’ici | elle irrigue l’herbe des prairies ruisselle le long des courbes du paysage pénètre le rocher | ainsi l’eau vient de toutes parts et s’assemble, plus loin ressort en sources claires et chantantes (on les entend quand on se promène au hasard des vallons incurvés) | d’une façon ou d’une autre l’eau rejoint la rivière, celle qui est partout et qui parcourt le monde d’ici et dont on ne cesse de croiser le nom sur les panneaux | elle se tortille, revient sur ses pas, disparaît, difficile de dire dans quelle direction elle se répand exactement, on la soupçonne ici et là, on vient de loin pour la voir, on l’approche avec prudence, on la cherche dans les marécages, personne n’y nage, de toute façon on préfèrerait se laisser aller dans son courant plutôt que de le remonter | elle paresse au bord des friches longe les prés irrigue les bois | les bêtes de troupeau la regardent passer, on peut y chercher de l’or, en sortir son lot de poissons

et je pense à ce qu’un tel flot continu irrigue de créatures en vie et de cadavres, quelques barques abandonnées à l’hiver, salamandres dans les arômes d’herbes touffues, courses et cachettes improvisées pour l’enfance, peu de danger quoique l’eau se comporte de façon surprenante mais pas autant que la marée | et si je glissais au fil de sa peau liquide, je verrais de la verdure en quantité, la voûte des ponts anciens, humerais la pierre suintante, aurais tout juste le temps d’aviser quelque silhouette de pêcheur de carpes, sûrement un habitué accompagné de son fils si c’est un mercredi, j’entreverrais la masse trapue de l’église tellement proche du pont que le parvis régulièrement s’inonde, je surprendrais mille jardins mystérieux qui réveilleraient mes souvenirs, tout ce qui s’entasse à force de vivre et se rassemble en nous comme un fleuve, et ces souvenirs se croiseraient avec ceux des hommes qui vivent là sur ces berges, pas de villes, pas de béton, rien que villages installés en fonction des contours dessinés par l’eau et c’est là qu’on l’observe le mieux, enfin voilà ce que je verrais passant à fleur de rive et pour peu que l’automne gonfle le flot, je sentirais par le dessous le remuement inquiétant du courant qui parfois me passerait sur la tête, alors je pousserais mes jambes par le fond et regagnerais le bord, m’ébrouant comme un chien et me demandant quel diable m’a prise d’aller m’immerger dans ces eaux indociles

ce fragment toujours dans l'idée d'utiliser les propositions du cycle pour continuer l'exploration du même lieu (comme une contrainte supplémentaire)...
cette fois évocation de la Gartempe, la rivière d'ici si présente

#9 s’enfoncer

Après-midi d’automne. Je marche dans la prairie — toujours la même prairie — jusqu’au sommet du coteau, regarde le sol recouvert de sa toison d’herbes sèches, fleurs en graines devenues noires, fruits, fragments de branche, bogues épineuses lentement dégradées par la pluie et le vent, tout ce qui va bientôt disparaître sous la neige.

C’est comme une nouvelle aventure qui commence avec cet acte de marcher, pieds s’enfonçant dans le paillage moelleux constitué de toutes espèces de matières tombées de l’air et des arbres au cours des dernières saisons et d’autres aussi poussées de la terre elle-même puis retournées à l’origine après maturité, tiges feuillages fleurs racines, autant d’éléments se décomposant, se coulant dans l’humus, le nourrissant, le fortifiant, et l’humus travaillé aussi par des petits rongeurs aveugles devenant de plus en plus sombre et gras à s’enfoncer et grouillant de créatures — tels annélides mangeurs de terre, insectes à carapaces, bactéries adaptées à ces étages de moins en moins oxygénés —, pierres informes elles de plus en plus nombreuses à se mêler au gras et litages de plus en plus minces et différemment colorés à descendre, révélant une stratigraphie capable de raconter une histoire à force d’accumulation de substances — une strate identifiable par cycle végétal complet à la façon des cercles concentriques qui révèlent les années de croissance de l’arbre —, litages non seulement de plus en plus minces mais aussi de plus en plus tassés avec la pression qui augmente de haut en bas, porteurs d’empreintes et de fossiles écrasés.

C’est comme une descente en ascenseur dans une mine, un voyage au long d’une fissure, d’une tranchée verticale jusqu’à rejoindre la base souterraine du coteau — car c’est là le projet : atteindre le niveau des sources qui surgissent au creux du vallon à cinquante mètres au-dessous la maison, et rien de léger là-dedans, il faut du lest, il faut du lourd. Descendre encore, s’enfouir plus profond tout en demeurant sensible à la température et à la pression qui gêne la respiration, viser la trajectoire idéale apte à révéler une bonne coupe géologique du coteau. Au fur et à mesure de la descente, l’examiner à la lumière d’une frontale et même à la loupe après avoir heurté la roche avec un piolet pour récupérer un éclat de rocher. Une fois dépassé la croûte et les zones à conglomérats, entrer dans le dur de la matière métamorphique à gros cristaux de feldspath — ça date de 300 millions d’années, ô vertige —, l’ensemble affecté de diaclases permettant la circulation des fluides à travers le chaos. On touche au but quand s’annonce un lit de marnes grises et d’arènes granitiques.

Il n’existe pas de filtre plus efficace et merveilleux pour les eaux de pluie infiltrées de l’hiver. Là, au fond du puits foré par l’imaginaire, l’odeur de l’eau circulant pure et libre.

#10 sombre biotite

partir de l'éclat de rocher survenu dans la #9 et creuser ou augmenter le zoom en explorant le noir...

Ça ressemble à une chose compacte contre laquelle on bute, on tombe et on se casse un os, on s’esquinte les genoux. Dur comme pierre, on dit. Pierre dure et lourde, insoupçonnable sous le couvert végétal. On se penche. Elle est là partout, dans le chemin, dans les fossés. Elle constitue la masse de la colline. Elle est plancher socle continent. Elle est notre île. Son corps résiste depuis des millénaires et il faut des outils de métal pour la griffer. Profitant de l’altération en surface entraînée par les pluies et les pollutions, le lichen s’y étale comme sur un dos d’animal — rhizocarpon geographicum, ridescens, lavatum —, mais sous sa peau offerte au monde, elle reste dure et grenue. Immortelle. Elle n’appartient à personne et impossible de la cacher dans sa poche.

Dans le champ près de la maison, les blocs sous les arbres ont l’air bourru et informe. Faire sauter un éclat avec un marteau à tête lisse de géologue, regarder à la loupe, plonger dans le champ du noir : paillettes brillantes un peu mouillées, texture douce, aspect feuilleté, plans de clivage parfaits comme cirés vernissés aptes à réfléchir la lumière.

sombre biotite
fer aluminium magnésium.
elle est la partie noire et friable du granite
de l’espèce des micas
ses reflets sont intenses, ses vertus sûrement innombrables

Les paillettes sont des mouchetis dans le corps de la pierre pareils à des points de couleur dans un tricot. Elles attirent le regard une fois la pierre débarrassée de son feutre et frottée. Elles sont écritures à l’intérieur du rocher, dessinant une carte contre le rose ou le gris du granite. Le noir devient trace, vestige du profond lointain.
Je ne veux pas m’approprier la matière ni l’emporter avec moi, je veux seulement l’approcher. Il me faudrait pour ça des microscopes, des outils à voir profond pour découvrir la matière subtile qui serait noire, aurait la douceur du talc et le goût de fines lamelles de chocolat relevé d’une pointe salée.

Photographies ©Françoise Renaud, 2024

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

73 commentaires à propos de “#écopoétique #01 à #10 | automne 2024”

    • le texte m’a résisté, je ne parvenais pas avec le peu de temps dont je disposais à raconter le commencement…
      évidemment c’est en cours tout ça et à suivre…
      contente de te retrouver, Élise, par ici…

  1. Très émouvant ce témoignage de jardin, par son aspect « régional » (de l’eau! des châtaigniers! un abreuvoir! des bêtes pas trop loin!, et de l’herbe verte sur la photo!), par son histoire de jardin (potager puis friche puis petits coins reliés par des allées de graminées), que par la mémoire collective à laquelle il participe. J’aime ce partage!

  2. Du coup, tu as remis tous tes lopins # sur une même parcelle et tous nos commentaires ont été labourés. Tu penses en faire un récit ? Cela donne envie d’en faire autant mais je ne suis pas sûre (une fois de plus) de savoir appliquer la méthode. Je suis loin des jardins et tellement préoccupée par le désordre du monde qui repousse la Nature comme un rouleau compresseur. j’écris par poussées brèves et par fragments impérieux. Il faudrait que je vive ailleurs qu’en ville pour retrouver la bonne distance entre la clairière légitime et la forêt ancêtre. Je pense souvent à Jaccottet et à son herbe (unique) qui sourit ( qui résiste) au milieu du champ. Eco – poétique / Ethique. Le chantier voit loin. .

    • je ne pensais pas que j’allais raconter un jour ma rencontre à ce monsieur qui se prénomme André je crois… outre la rencontre à la fête locale, j’ai eu l’occasion d’assister au déjeuner d’anniversaire de sa nièce il y a quelques semaines et il était mon voisin de table, et si j’avais su que j’en viendrai à vouloir explorer l’ancienne mine d’or, je l’aurais alors questionné ! maintenant il va me falloir le solliciter…
      à suivre…
      merci Bernard de ton intérêt

  3. Ce texte de Claire Dutrait était pour toi. Il croise parfaitement ta découverte de la mine à travers le témoignage de cet ancien ! Plaisir à suivre tes autres évocations 1 à 3. Bonne enquête (je participe à mon rythme, commencé au 4).

  4. Je découvre en une fois ces quatre fragments d’installation dans ce lieu. Quelle belle et émouvante histoire, celle de l’appropriation de ce paysage autour de la maison, de l’installation de ces petits coins de jardins (le jardin de lecture…) ; et puis allez voir plus loin, écoutez les natifs, allez au-delà après les bois et les prés, vers la mine. C’est poétique et passionnant, on ressent le paysage à la lecture. On attend la suite de l’enquête !

    • merci Isabelle pour ta présence
      oui, faut-il sans doute, du moins pour moi, un lien déjà dès le commencement du travail entre les fragments, un lien dans l’idée ou le lieu ou autre chose… ma façon à moi de progresser et de construire quelque chose « qui tient »…
      à suivre… et promis, je poursuis l’enquête…

    • c’est là que je rejoins le travail fait sur le pays aux 1000 taillis, tu te souviens sans doute l’année dernière, où refaisaient surface ces vies inconnues dont tu parles…
      en travail mais pour plus tard…
      et les odeurs faisant se rejoindre l’air, la vie, le ciel…
      merci à toi, fidèle

  5. « L’odeur me reconduit vers la pierre des murs, vers ce qui est incrusté là depuis longtemps, vers ce qu’on ne voit pas ».
    Merci pour cette belle phrase Françoise et pour ce voyage au pays des odeurs où chaque odeur me réveille une vie.
    A bientôt

  6. « Ô pluies, vous toutes…  »
    et toutes elles réveillent nos sécheresses, nos peurs, celles de la terre, celles de nos racines et de nos livres d’histoires.
    Merci toujours Françoise pour encore ce très beau texte.
    Toutes mes pluies peinent à se mettre en mots…. Ça va venir sûrement… Bien à toi.

    • tu sais, cette #6 m’a donné du fil à retordre en acceptant la consigne de l’impératif qui, je trouve, rend les choses plus « ampoulées », mais se plier à quelque chose de rare dans sa pratique apprend toujours toujours quelque chose
      j’ai donc accepté et… j’ai fini par me faire à cet aspect un peu « maniéré » !
      voilà que tu me rassures un peu sur le résultat !

  7. Merci pour ce texte où tu as osé le « ô », proposition d’écriture que j’ai trouvée difficile avec cet impératif! Texte convoquant à la fois le passé, le présent et le profond souhait ( partagé!) d’un paisible à revenir « demeurez indulgentes et généreuses »  » alimentez nos sources d’un chant clair ». Merci Françoise!

    • arghh ! cet impératif qui contraint mais apporte son lot de surprises (c’est bien de s’obliger aussi parfois, qu’est-ce qu’on risque sinon sortir de son confort ?…)
      les pluies m’ont malmenées et jamais on oublie ça…
      en tout cas merci à toi pour ton doux écho

    • grand plaisir de ton passage par ici, comme un « retour » espéré !
      ça n’a pas été si simple d’accepter l’impératif proposé et le pluriel de mes pluies semblait trop alourdir le fragment, alors ciseler épurer encore et si ça passe, c’est tant mieux…
      on est en travail, c’est ce que je me dis sans cesse…

  8. je découvre tes textes et leur photo avec beaucoup « d’éco-plaisir « , ces retours « aux sources » nous font tellement de bien. L ‘essentiel est là sous nos yeux, parfois sous les feuilles et la neige…merci

    • un nouveau mot inventé ! l’éco-plaisir !
      et ça résonne bien…
      Il m’a toujours paru qu’en écriture, il fallait apprendre d’abord à poser son regard et à ouvrir les yeux, apprendre à voir
      merci pour ton si doux message, Carole

  9. Comment ne pas penser à la luxuriance de Tchernobyl ou Fukushima après la catastrophe en te lisant. Toute proportion gardée… Si la luxuriance devient suspecte , comment ne pas penser à celle des tumeurs silencieuses , qui ressemblent à des cellules ordinaires et se transforment ensuite en chancres irréversibles…Est-ce le sort que nous souhaitons à nos paysages ? Ont-ils la capacité de se régénérer sans l’intervention humaine ? Je crois malheureusement que oui ! En attendant, limitons les dégâts en pensant que la vie a été possible comme ce bon « Mr Dumas qui finalement ne sait pas grand-chose sinon que les habitants étaient nombreux quand la mine tournait et qu’ils faisaient des enfants et qu’ils avaient tous de quoi manger ».

  10. merci pour ton passage par ici qui donne sens
    oui quel sort pour nos paysages ? et comment vivront-ils sans paysans pour entretenir le pays, l’admirer ?
    je dois retourner voir ce bon Mr Dumas mais j’attendais que le soleil soit revenu pour aller avec lui dans les bois pour définir sur le terrain même les limites de l’ancien chantier minier…

  11. L’eau « se tortille », elle charrie tout, mort ou vivant… Devenir Ophélie n’est pas ton truc apparemment, et je te comprends. Seule une vie de papillon pourrait abréger l’angoisse que l’eau maternelle et marâtre insidieuse ou impétueuse inspire… Il faut être ministre en mal de notoriété pour se jeter dans la Seine sous les caméras. Toi, je le sais, tu ne le feras pas, tu préfères les eaux dociles, peut-être celles qu’on capte poétiquement entre deux pierres, grâce à un filet d’eau de source non encore contaminé.

    • tu m’as fait sourire entre source et traces d’arsenic potentielles !
      tu sais, j’ai pratiqué la nage longue distance (je la pratique encore) et par toutes les mers, avec déferlantes et houle de sud-ouest, et j’aime énormément ces mers fortes et dangereuses.. (mon côté breton sans doute)
      cette fois, j’ai hésité à prendre le pari de m’immerger pour descendre seule la Gartempe (quand même plus de 200 kms jusqu’à rejoindre la Creuse !!) et j’ai opté pour un récit apaisé en dépit des marécages et des zones invisibles …

    • grand plaisir de te retrouver par ici
      ta remarque à propos du mode verbe (sans doute conditionnel au lieu de subjonctif, n’importe) m’a donné à voir que le texte avait deux axes, deux blocs… je les ai donc distingués
      merci tellement pour ta lecture

  12. tu serais une eau sensuelle et poétique et joliment fantasque et joueuse mais j’en suis certaine, malgré les perturbations climatiques capable de résister à ce qui voudrait te pousser à t’infiltrer au delà des bords charmants qui t’enserrent par égard pour les jardiniers et les autres

  13. Dans la #01, j’ai lu « au coeur vert sur le flanc ouest… » et je me suis demandé si nos corps prêtaient leurs façons d’être à l’espace ou si c’était l’espace qui un jour avait inspiré la façon de nommer les parties de nos corps… Comme quoi j’ai senti une association intime dans cette installation en Massif central !

    • Sans doute que la notion de « flanc » a été rattachée au corps dans sa définition première mais le rapprochement anatomie/géomorphologie est si évident que de nouveaux usages en découlent
      Les mots ont une capacité bienheureuse d’adaptation, une flexibilité qui viennent « fleurir » notre travail (et engendrent peut-être la « poésie » ?)
      Etant ces jours-ci en train d’écrire une quatrième de couv pour un prochain ouvrage, me voilà encore prête à utiliser ce mot «flanc» pour une description géographique en espérant qu’il sera bien entendu et qu’il guidera le futur lecteur dans le bon sens, à savoir vers une exploration à la fois intime et géographique…
      merci Philippe

    • Essayer de tout relier, de ne rien oublier de ce qui compose le moment immédiat, sentir la source et définir les irrigations entre ciel, terre, eau, paysage
      (peut être là une définition du rôle de l’écriture ?)
      j’adore quand tu passes par là, merci Perle…

  14. #08 Beau texte et j’aime bien cette eau qui se tortille et qui revient sur ses pas, comme un premier jet. Le conditionnel ouvre aussi et l’image du chien qui s’ébroue est intéressante, j’adore, comme pour se débarrasser des sensations trop présentes, de la communion avec les éléments décrits, le texte… Merci, Françoise.

    • c’est bien le cas de cette rivière d’ici dont l’eau coule on ne sait dans quelle direction, on dirait vraiment qu’elle se tortille, insaisissable…
      sûrement qu’il faudrait encore davantage travailler l’image !
      en fait j’ai bien aimé cette idée de « voir » la ville, le village, le monde, à partir de la surface mouvante de l’eau, de sa circulation incessante
      (toujours l’attente de ton passage par ici…)

  15. 9 : Merci de faire surgir le vivant dans ces matières qui s’adaptent ou qui adaptent leur système à lui. Evidemment, très beau texte Françoise, et écriture qui fouit bien la terre pour nous faire atteindre ses profondeurs.

    • ce doit être la « faute » de ma formation naturaliste et géologue qui m’a conduite à entrer dans la matière ! et j’ai imaginé traverser le coteau sous ma prairie, c’était le plus simple pour moi pour cet exercice et tout en restant rattachée toujours au lieu.
      Alors forcément du vivant, du vivant insoupçonné, et toutes les traces de l’avant
      merci Elise d’être passée

  16. Merci pour cette descente finement décrite, et que l’on vit avec tous nos sens en lisant. Pour aboutir à « l’eau pure et libre », ce qui par ricochet me donne une grande inspiration d’air et de joie ce matin!

    • Contente que tu n’aies pas été « dégoûtée » par le peuple des créatures grouillantes qui habitent ma colline et que tu n’aies conservé que l’image de l’eau pure, si pure dans sa musique aussi, une musique continue qui habite le dessous des saules

      (merci d’être passée et d’avoir foré avec moi !)

  17. On y entre en douceur tout d’abord pour la surface avec le cycle de la vie et dans la seconde partie du texte, on s’enfonce mais c’est plus dur, il faut du lourd, le corps peine lui aussi. Puis on arrive à l’eau salvatrice et pure, celle de la source. Merci, Françoise.

    • je ne savais pas du tout où j’allais quand j’ai commencé à forer, mais il me paraissait évident que cette consigne me proposait d’explorer le sol juste là sous mes pieds, et je l’ai imaginé… je ne suis pas allée chercher bien loin
      et maintenant allons explorer la pierre noire !

  18. C’est vrai que l’éclat de rocher de la #09 devient par évidence le matériau de la #10. « la matière subtile (qui) serait noire, aurait la douceur du talc et le goût de fines lamelles de chocolat relevé d’une pointe salée. » J’aime ce recours aux sens pour décrire par analogies simples ce que pourrait être cette matière.

    • après l’observation autant que possible minutieuse, on manque de moyens et de connaissances, il nous reste alors nos sens immédiats pour nous secourir
      je viens de découvrir que tu y as fait appel toi aussi… ô merveille du toucher et du goût !
      (merci JLuc de te pencher sur mes lignes, ça me touche à chaque fois beaucoup…)

  19. Comme c’est intéressant de suivre ce texte à l’intérieur de ce fameux granite, en explorer les taches, les approfondir. Et ces deux polices de textes, toujours cette présentation qui change tout, et je ne parle pas de la photo. Merci, Françoise. « Elles sont écriture à l’intérieur du rocher », très beau et j’adore le début qui nous y fait entrer avec le corps dans ce texte, dans ce granite.

    • pour cette #10 j’ai eu bien envie de suivre la piste des pierres noires et fascinantes comme l’obsidienne ou l’onyx généreux en éclat, finalement je suis restée dans ma prairie
      le noir est là présent dans la roche, micas noir, fort contre le dur du quartz et la masse des feldspaths, je l’ai imaginé avec ce que je sais de lui en théorie
      tout est possible avec cet exercice de toute façon, prose, poésie, pierres si présentes dans notre vie
      (merci Anne de m’honorer à chaque étape, un écho que j’attends…)

  20. Sombre biotite: je crois que j’aimerais « découvrir avec des outils à voir profond la matière subtile qui serait noire », car là tu ouvres pour moi une nouvelle dimension, la dimension minérale, jamais envisagée comme un monde ou si peu. Merci infiniment pour l’agrandissement de mon univers!

    • pour cette #10, l’idée de plonger dans la matière noire, plonger au cœur pour voir comment ça s’est constitué, vertige des atomes composant le minéral, s’assemblant sous des pressions et des températures spécifiques à l’intérieur de la croûte terrestre
      d’ailleurs les lames minces au microscope électronique sont bluffantes, compositions colorées étourdissantes, véritables tableaux de maître ! (le maître n’a pas de nom sinon cosmos, univers)

  21. Bonjour Françoise, venant d’écrire la proposition 9 je suis passée lire ta rubrique 9. Un grand plaisir à te lire dans une écriture nourrie scientifiquement à la façon d’une chronique de l’humus. C’est précis et nous emporte à même la matière-récit. Bravo, passionnant !

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