#écopoétique #01 | enfin, les mains dans la terre

J’ai les mains dans la terre enfin, pourtant, je n’y connais rien, mais je farfouille. Je me sens autorisé par ceux qui m’ont précédé. On m’a raconté avec quelle agilité ma grand-mère descendait cette pente-là pour aller cultiver, récolter. Les mains terre à terre, je découvre des espèces jusqu’alors inconnues par moi. Une chenille toute poilue, une grenouille argentée ; les cafards, les rats, les moustiques, des fourmis de deux centimètres de long, ça je connaissais déjà. Ça me gratte parce que j’y pense ou parce qu’elles m’ont bien eu ? Si ça se trouve, je m’habituerai à me faire picorer : une sorte de laissez-passer complètement biaisé. J’arrache les herbes avec frénésie. Elles se sont infiltrées dans la terrasse qui soutient la maison. Il y a même un morceau qui commence à avoir sa dose. Je ne suis pas devin, je ne sais pas quand il s’effondrera ni même si ça fera du bruit. Toujours est-il qu’il y a bien une tranchée, elle est visible même si de nombreux pieds, les miens y compris passent au-dessus avec dans la tête cette ritournelle ponctuée par un « pour l’instant, ça va ».  Ça fera peut-être crack et plus loin badaboum alors que je serais sur le terrain en train de planter, de récolter. Vu la forme de la pièce qui se dégagerait, ça ne devrait pas rouler, juste aplatir, ne laisser aucune chance, avec un bruit sourd, tout doux. La nature est espiègle et si patiente.

J’image que c’est comme si ça tombait du ciel quand on récolte. Je veux rêver que je parviendrai bien à faire pousser un petit quelque chose. Je ne sais pas si ça fait du bruit quand ça pousse une plante, un légume, même quelque chose d’infime, mais pas un murmure, parce qu’il parait que les plantes ne parlent pas, qu’elles ne bavardent pas, qu’elles n’ont rien à dire ou alors, c’est le contraire, elles n’arrêtent pas du soir au matin. Quelquefois, c’est compulsif, elles s’esclaffent, piaffent surtout pendant la nuit avec les grillons. C’est à ce moment-là que les herbes, les plantes échangent le plus de secrets, des choses que nous n’avons pas à connaître, des choses qui nous dépassent. C’est mieux quand ça nous dépasse. Ça pourrait faire une bonne surprise ou une mauvaise pour nous. Je ne sais même pas ce que je planterai. Il faut que je plante juste parce que j’arrache presque en dansant. C’est ma première fois, je peux bien rêver. Je n’ai pas d’excuses, avec ses montagnes au loin, la petite forêt en bas du terrain et la nuit dont j’arrive à me souvenir le jour. C’est parce que madame est tellement majestueuse. Ici, la nuit, c’est comme un coup de foudre. À la contempler, je me demande si je ne suis pas moi-même un songe, ou un trait d’humour qui dure. La nuit, tout à l’air si parfait qu’on hésite à regarder les choses en face, on pourrait se perdre : comprendre l’indicible.

Pour l’instant, tout ce que je sais, c’est qu’à chaque fois que je mets les pieds dans le jardin en pente de la section d’Acomat, les hautes herbes m’attendent, elles me disent qu’elles me pardonnent d’avance pour mon ignorance et le plaisir que je prends, mains nues, à les terrasser à coup de coutelas mal aiguisé, à coup de griffes non exercé et avec un mouvement si ridicule du bassin qu’elles se couchent de rire parce que c’est justement à mourir de… Il faut voir les mains, les pieds des gens du pays, les miennes ont encore une fois été rappelées à l’ordre à coup de cloques et de coupures. N’est-ce pas justice ? J’aurais dû savoir qu’il fallait apprendre la langue des herbes et des plantes sauvages. Il y en a qui soignent, tout de même, d’autres qui punissent. N’est-ce pas justice ? Leur passer devant sans même les saluer. Un simple : tu vas bien ? Ça fait toujours plaisir. Les pieds dans la terre, la tête aux seules heures où le soleil te donne le feu vert. Les mains qui serrent, qui ponctionnent et poussent c’est comme chanter. Il y a ce temps d’inspiration où les gestes sont harmonieux, où la colonne d’air, le palais, la langue, les émotions, l’âme ne font que copier la nature. On se sent comme emporté par cette mission pas si évidente pourtant, mais sous le vent quand même. À coup de tas, le jardin finit par avoir un trou dans la tête, une raie. Ce n’est pas encore très beau, je le concède, ça n’a pas encore de sens. Voilà qu’une question mutine se pointe et balance un pourquoi ? Il résonne avec une insolence.

M’enfin, il y a eu un temps où c’est une branche qui s’était étendue jusqu’à la case. Les rats, m’a-t-on dit, en profitaient pour débarquer dans la case pour une surprise partie. On me l’a dit, mais je ne l’ai pas vu. Je ne sais pas si je classerai cette déclaration au rayon des rumeurs, mais c’est visuel. La branche, les rats et hop, dans la case. Cette ancienne bâtisse faite main qui depuis a été agrandie et qui trône là où des générations se sont succédé. Bah la branche on a dû la tronçonner alors la terrasse elle peut bien tomber, ce ne sera que justice pour une colonie de raisons. En attendant l’inévitable, je voudrais juste planter quelque chose, mais pour l’instant, moi le marmot qui gesticule, j’arrache. Planter, récolter, ce n’est encore juste qu’un rêve ou une illusion.

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