#ecopoétique #09 | monter et descendre

Dans le temps, l’expression « monter à Paris », « descendre dans le Sud » peut fournir une indication, quoique vague, d’un lieu d’où l’on part. On dit aussi qu’on habite un endroit quelque part sur la carte, à la surface du monde, ça ne nous met pas la tête à l’envers pour autant. On part de chez soi, d’un lieu nôtre vers leur lieu à eux, celui de la boulangère aux joues rondes, celui de la poignée métallique de la porte que l’on pousse pour entrer dans le magasin d’articles de pêche, la petite montée que l’on gravit juste après la place du marché, vers le bureau de tabac et l’église, ou encore sur la route d’Epineuil, les deux cimetières, l’ancien ou le nouveau, pour enterrer les gens, et bien sûr plus loin, d’autres régions, d’autres villes, celles des grands-parents, des futures ou des ex-épouses, maîtresses, veaux, vaches ou cochons, etc. Et l’enfant, le jeune homme, puis l’adulte en ce temps-là ne sont pas grand-chose d’autre qu’un des innombrables centres mobiles du monde, comme tout un chacun, se déplaçant selon des buts, des idéaux verticaux, horizontaux — diagonales, courbes et spires — volutes, nuages, brumes, simple cavalier enfourchant son petit vélo, petit cheval, âne bâté, tête de mule, se métamorphosant par contraintes multiples en simple pion dans un jeu de morpion ou de go. Il pense donc à cela ce matin en descendant l’escalier, à cause sans doute d’un rêve, puis, parvenu à la cuisine, les pieds sur le carrelage froid, un autre souvenir de rêve l’extirpe du précédent. Il se souvient qu’il y a une explosion un peu plus loin, ici, dans la vallée — il peut la revoir comme au ralenti — peut-être à l’emplacement du centre commercial obscène au rond-point de C., tristement nommé Green Set, peut-être par un de ces cynismes électoraux surfant sur la vague écolo. Bref, il descend l’escalier exactement comme tout à l’heure et, parvenu en bas, dans la même cuisine, il a juste le temps d’apercevoir l’explosion, sorte de montagne incandescente, assez chouette esthétiquement, en train de se former à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau ou à vue de nez. Ce qui est parfaitement impossible car nous habitons dans le centre du village, entourés de façades, de murs, d’usines, d’une purée de pois atroce en ces jours brumeux de novembre et surtout les paupières cerclées par le refus d’en voir plus, par l’à quoi bon vouloir en voir plus. Mais là, c’est autre chose. Possible que l’image de l’explosion apparaisse avant même qu’il pose le pied sur la première marche, depuis le palier, avant de descendre l’escalier menant à la cuisine; on pourra même risquer de se dire que l’image de l’explosion lui apparaît depuis le centre de la nuit, surgissant d’ailleurs, dans un silence épais alors qu’il est là, totalement inconscient, allongé sur le lit, dormant à poings fermés, puisqu’après tout il ne s’agit que d’un rêve permanent tournant autour de son propre centre invisible, à la fois centrifuge et centripète.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

4 commentaires à propos de “#ecopoétique #09 | monter et descendre”

  1. J’ai toujours bien aimé le mot « centripète », probablement car je l’entends comme « sans tripettes », disons au moins à 80%.

    Dès le début de la lecture, j’ai pensé à un passage du Journals de Denton Welch. J’y pense, donc j’y vais. 17h48.
    18h14: toujours pas, fotiguée la bestiole.

    Il s’agit d’un passage où le narrateur, Denton,raconte sa fuite de l’école pour garçons, encore adolescent, et se retrouve en pleine nuit dans une auberge en pleine campagne. Le bruit de la salle en dessous l’empêche de dormir, et gros spoiling: c’est là qu’il comprend que toute fuite est inutile.

    Vàlà, mais dès que je le retrouve, je le remets, après un peu de repos, le bon air de la campagne justement…

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