#écopoétique #06 | Un instant de pluie

Pluie première quand tu crépites sur un toit de tôle, soudain l’on t’écoute, enroulé dans un sac de couchage à quelques centimètres de ce toit, au dernier étage de trois lits de planches superposés,  soudain entièrement disponible au son, aux gouttes solitaires et annonciatrices, grosses et molles, à l’arrivée progressive de grains plus légers plus fins et toujours plus nombreux, devinant la crevaison d’un nuage au-dessus de la Loire, puis brutalement le déferlement les glissades les cascades le grand fracas et la délicieuse découverte que l’on t’aime pluie, que tu chantes que tu rugis, et que ce chant nous rapproche du ciel.

Toutes les pluies crépitant sur les toits, réjouissez les hommes et les bêtes d’être sous ce toit, de pouvoir donner libre cours à l’enchantement du son, quand le puissant déluge nous empêche de penser et nous oblige à être là, à écouter, à attendre que le flot se passe, se calme, se dissipe, disparaisse.

Toutes les pluies crépitant sur les trottoirs, alors que dans un renfoncement de mur de porche ou de boutique on regarde rebondir les gouttes dans ce qui semble presque être une fumée tellement celles-ci sont serrées, réjouissez-nous de ce pétillement de vie, de cet instant nous arrêtant capuche sur la tête, à deviner de l’autre côté des trottoirs d’autres individus debout immobiles attendant dans le son, n’ayant même pas sorti leur portable pour meubler l’instant, hypnotisés par les ruissellements s’engouffrant dans les trous des caniveaux sous les trottoirs, allant gonfler les mystérieux trajets fluides des sous-sols.

Réjouissez-nous dans les vérandas où nous prenons des déjeuners au milieu des nuées, du vent qui écrase des salves d’eau sur les vitres, des arbres tourmentés ballotant comme des algues au fond d’un océan, des ballets de cumulus noirs se disloquant se superposant se rejoignant en camaïeux de gris épais, réjouissez-nous de la chance qui nous accompagne d’être à l’abri, d’être là et même né là, par hasard.

Eau de pluie, nous t’adorons, nous désirons de toutes nos forces te croire capable de te purifier de nos miasmes et de nos pollutions, de nos erreurs et de nos fautes, nous t’espérons, nous te louons, nous te remercions, et pourtant nous savons ce que d’autres êtres vivent, sans toit de tôle, sans encoignure d’immeuble, sans véranda et sans forêt de racines pour retenir et boire l’immensité du ciel qui se déverse.

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

6 commentaires à propos de “#écopoétique #06 | Un instant de pluie”

  1. toutes ces nuances entre frémissement léger, crépitement et fracas…
    et cette fine insistance à souligner « la chance d’être à l’abri »…
    ce « nous » donne de l’étoffe au sujet, on sent la famille réunie dans la véranda en dépit des intempéries… et on goûte mieux avec ce « nous »
    merci Valérie

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