#écopoétique #04 I Ananas et voie ferrée

Récapitulatif au micro, avec vent du soir, gestes d’agacement contre les clés dans la poche et soupirs de dépit

Cela faisait cinq jours entiers que je n’avais pas quitté le jardin. Plusieurs fois, j’avais vu du mouvement du côté des cartons des réfugiés, au pied du talus de la voie ferrée. Cet après-midi, j’ai eu envie d’aller dans cette direction mais je n’étais pas prêt encore à aller directement au bout de l’impasse. Non pas à cause de la peur de ce qui pourrait sortir des cartons. Plutôt…

Crrcrcrccrcrcrcrcrc

Plutôt… comment dit-il le Pepi ?

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La vergonha Oui , c’est ça, la vergonha…C’est le seul mot que je m’accepte actuellement . Je l’ai retrouvé l’autre jour dans l’almanach occitan. Je peux d’ailleurs la préciser, cette vergonha-là, que les français ne comprennent pas. Ils pensent toujours à la grande Honte ! En fait, c’est juste ce tiraillement de ventre qui me vient de ne pas être allé plus tôt appeler pour savoir s’il y avait encore quelqu’un sous les cartons. Quand même, ça fait dépit.

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Mais peut-être que cela aurait été trop indiscret de le faire… En tous cas, plus le temps passe et plus je suis gêné d’y aller ou gêné de ne pas y être allé plus tôt. Mais ça se rejoint tout ça, milledius !

Crrrrcrcrcrclclclclclccrcrcrcrcrcrcrc

Enfin, je suis allé jusqu’à la voie ferrée en passant par la rue de la Vierge. Il y avait un trou dans le grillage et j’ai pu longer le talus, depuis l’endroit où la voie ferrée sort de son fossé jusqu’à l’endroit où il est déjà assez haut et où le Pepi avait sauté pour échapper aux balles dans l’histoire de la guerre qu’il racontait toujours autrefois et qu’il faut que je lui redemande un jour, le magnétophone en main… Comme s’il y avait eu une époque glorieuse de la voie ferrée. Et maintenant, une époque honteuse.

Crrrcrcrcrcrcr

Presque plus de cartons. Comme si on les avait emportés. Mais qui ? Et les gens qui s’étaient mis dessous, bien sûr que je n’ai pas vérifié… Pourtant je suis sûr qu’il y a eu des gens dessous, pendant des jours et des nuits. Mais j’ai trouvé autre chose.

Crrrrcrcrcrclclclclclccrcrcrcrcrcrcrc

J’ai trouvé là un ananas tout sec, même pas mangé, et qui avait dû être bon pourtant

Crrcrcrcrc

Si c’est pas malheureux, trouver un ananas au pied d’un talus de voie ferrée et qui n’a même pas été mangé !

Pfffffcrcrcrcrcrcrcrcr

Ca m’a fait penser aux tirailleurs sénégalais. Cela aussi, il le racontait souvent autrefois le Pepi, les tirailleurs de la fin de la guerre mais attends…

Crrrrcrrcr

L’autre guerre, celle de quatorze, je crois, celle où il était enfant, neuf ans je crois, et des tirailleurs lui avaient offert du chocolat depuis le train où ils passaient, démobilisés. Là, alors que j’étais parti pour une enquête, j’ai trouvé du rêve…

Crrcrcr

Une touffe de pensées, mariant le bleu tendre et le violet précieux, plus quelques piques jaunes perdues dans le gris vert du couvert de ballast…

Pfffffcrcrcrcrcr

Et puis l’ananas est revenu me tracasser. Je me suis d’abord demandé, est-ce qu’on l’avait jeté du train ? Mais alors pourquoi tout entier, même pas mangé ?

Crrcrcrc

A moins qu’on ait visé les cartons en le jetant du train et comme le train roulait, l’ananas est retombé un peu plus loin de là où ils étaient alors mais d’où ils ne sont plus. Après tout, on accélère après la vitesse de sortie de gare à cet endroit-là.

Crrcrcrcrcrcrcrcrc

Mais peut-être qu’on l’a jeté sans vouloir frapper mais pour donner et que c’est pour ça qu’il n’est pas tombé pile sur les cartons et que du coup, il n’a pas été remarqué, en plus avec le bruit du train masquant le bruit de chute et peut-être la nuit… Peut-être que c’était pour donner à manger à des gens sous les cartons depuis les trains ? Un geste comme ça et que j’aurais pu faire moi aussi si j’avais osé m’approcher plus tôt en venant de l’impasse où quand même c’était peut-être plus difficile de scruter les cartons en appui sur le talus que depuis les trains… au moment d’entamer l’ananas, on a vu depuis un train ce que nous ne pouvons pas voir ou bien que nous refusons de voir depuis l’impasse où nous sommes et on le leur a donné. A qui ? Et qui est ce on ?

Crrcrcrcrcrcpffffffffffff

Oui, je sais, il n’y a pas que le vent pris par l’enregistreur, il y a aussi de mon dépit. Et si l’ananas n’a pas été finalement mangé, c’est que même des cartons, on l’a rejeté.

Alors il ne peut pas y avoir que de la faim se cachant sous les cartons, c’est pas possible…

4 commentaires à propos de “#écopoétique #04 I Ananas et voie ferrée”

  1. On leur offre des ananas de fin de marché et des numéros d’appel d’urgence injoignables alors qu’ils ont besoin d’un toit et de « considération » ! La voie ferrée ferait mieux de leur envoyer du secours. Votre magnifique texte « crisse » sous mes yeux et me fait grincer des dents de colère.. Il dit l’essentiel : comment ne pas détourner les yeux et le coeur d’une détresse planétaire qui est de plus en plus présente et qui déferle de toutes parts, rendant les gens nerveux et oublieux de la simple compassion active utile. Les cartons ne sont que des cache-misère…

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