#écopoétique #3 | A tâtons

Tout commence avec le regard, une observation attentive de ce qui m’entoure. Un peu comme si le jardin devait petit à petit me parler une langue secrète qui ne serait pas faite de mots mais d’inspiration fulgurante tandis que j’arpente les 800 mètres carré que me confère le titre de propriété. F. n’a que faire des lois de la propriété. Quand je lui ai dit qu’il défrichait un terrain voisin du notre et qui appartenait à Monsieur G il m’a répondu : « ce sont des herbes, autant planter des herbes qu’on mange plutôt que de se laisser envahir par des herbes qu’on ne mange pas. » La logique me paraissant imparable je n’ai pas insisté et il a planté sur le terrain de Monsieur G, des piments, des pois d’angole, des bananes de toutes sortes et de la canne à sucre. J’aurais du le regarder faire tant qu’il était encore là à s’occuper du jardin. Regarder et apprendre. J’ai glané si peu de choses au bout de 5 ans. Je sais qu’il faut déraciner les herbes Guinée quand elles sont encore jeunes pour éviter qu’elles ne tuent le gazon. Je sais qu’il ne faut pas raser l’herbe trop près du sol pour que la terre se trouve presque nue et se vide dans le canal en bas de l’allée ravinée par les pluies de saison. Je sais qu’il faut désherber les bois patates. Il m’a montré leurs feuilles en forme de cœur. Il faut les arracher et tirer sur la liane en faisant attention à la plante autour de laquelle les bois patate se sont enroulés. Tonton Fernand quand j’étais petite allait chercher des bois patates pour ses lapins tous les après midi. On le voyait un sabre battant sa jambe allonger le pas avec ses bottes en caoutchouc vers Grand café. Il disait « en kay an bitasyion ». Je sais aussi qu’il faut couper les feuilles mortes des bananiers. Sectionner leur fleur pour faire murir les régimes. Tester sur les bananes la résistance de la petite partie située à l’extrémité opposée du point de fixation au régime pour vérifier leur degré de maturité. Je sais reconnaître un cocotier en fleur. Je sais qu’il faut garder les papayers mâles pour féconder les papayer femelle. Je ne sais pas quoi faire contre les fourmis manioc. L’an dernier elles ont mangé tout le basilic. Le romarin est mort et l’aloévera a disparu. Les ananas n’ont pas encore porté. La mélisse survit. L’arbuste tend des branches presque sans feuilles. La menthe dans le bac est en fleurs. J’ignore s’il faut les couper comme pour le basilic pour qu’elle ne meurt pas. Je sais qu’il ne faut rien mettre d’animal dans le compost parce que cela attire les rats. Le letchi depuis 2019 n’a plus donné de fruit. Hier j’ai émietté des gazania séchées devant la maison pour rajouter de la couleur. Je ne me souviens plus si j’ai planté des cannes de la Jamaïque. J’ai trop de bananes en même temps. Je ne sais plus comment reconnaître les fruits à venir du giraumon. J »ai planté un chaya dont je n’ai jamais mangé les feuilles. Il est recommandé dans les pays de famine pour donner des protéines. L’atoumo envahi l’entrée de la maison. J’ai peur que cela ne me coûte cher de le tailler. J’ai aussi planté un avocatier qui après 2 ans nous promet une belle récolte. Après une journée dans le jardin F aime couper la canne. Nous amenons les bâtons à la rivière. Il épluchera la canne et coupera des morceaux dans un saladier. Nous en mangerons plus de la moitié en revenant de la rivière Grande Anse. Il m’a montré comment faire des semis. Les préparer à la nouvelle lune ou parfois simplement parce qu’on en a envie. Fouiller le compost pour en extraire le terreau. Secouer le bac plein de terre pour que les pierres apparaissent. Tracer des sillons à l’aide d’un bout de bois. Disposer les graines en ligne. Arroser. Attendre. J’ai oublié quelle plante attire les abeilles. Le matin mon rituel est de me promener au soleil levant dans le jardin. Regarder et cueillir des herbes pour ma tisane. Citronnelle, zeb à fer, verveine blanche et le thé pays qui est sur le terrain de Monsieur G mais que je ne saurais plus reconnaître. Gros baume! C’est le nom de la plante qui attire les abeilles. C’est aussi la première graine que j’ai planté quand le jardin à venir n’était encore qu’une surface il y a peu recouverte de gazon. Une pelle mécanique avait recouvert le gazon du trop plein de terre de la fosse sceptique. et maintenant recouverte de Ce matin j’ai pensé aux plantes couvre sol pour la butée derrière la maison. Tout pousse si vite. J’ai peur d’être dépassée. F a science du jardin. Moi je tâtonne.

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

4 commentaires à propos de “#écopoétique #3 | A tâtons”

  1. C’est plutôt réjouissant de se promener dans ce jardin extensif qui semble aussi généreux qu’imprévisible. Avec toi, on découvre de nouveaux noms de plantes et de fleurs. Je souscris à cette sagesse de dire « qu’il vaut mieux planter des herbes qu’on mange… »même si je ne dédaigne pas les fleurs exotique, et ce jardinier avisé F. a bien raison d’utiliser les compétences de la luxuriance et du climat. Je me demandais pourquoi le prix des bananes avait tant baissé, maintenant , je comprends. L’idéal serait de partager le temps entre l’écriture et l’apprentissage du jardinage raisonné.

    • et c’est le temps que je n’arrive pas à m’octroyer pour écrire et qui ma tenu si longtemps loin du wordpress. Merci Marie-Thérèse pour ta lecture. J’ai lâché à regret l’atelier éco poétique. Je vais profiter des fêtes de fins d’années pour reprendre

  2. Est-ce qu’il s’agit d’un souvenir ? Est-ce que la narratrice raconte un moment passé avec l’homme avec qui elle a vécu pendant 5 ans et qui avait cette connaissance de la terre, de ce qui y pousse et de la manière dont se développent les différentes plantes ? Pour moi, le personnage contemple son jardin et se remémore ce qu’en cinq ans de relation, elle a appris. Il y aurait peut-être une lecture qui révélerait l’art d’entendre l’autre et d’entretenir la relation à travers l’écoute. Elles sont précieuses ses lignes parce qu’elles nous apprennent à être plus proches, plus délicats avec ce que nous plantons. J’imagine le goût de la canne fraîchement coupée…

    • La délicatesse c’est ça! Un jardin c’est la délicatesse du regard qu’on pose chaque jour pour entrer en intimité avec le jardin. La force d’arracher et de planter est secondaire. En premier lieu il faut regarder et écouter. Merci Dominique pour ta lecture

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