Ce serait pour lui comme une religion aux rites païens. La passion des cristaux se découvre pendant l’enfance. Elle met longtemps à disparaître au profit d’autres attirances plus charnelles. Faire des ricochets sur l’eau reste un réflexe puissant devant une rivière longuement sertie entre des galets usés jusqu’au sable multicolore.
Tu lui as demandé avant hier, s’il n’avait pas une pierre noire à te recommander pour la décrire. La question exacte : Toi qui me connais, quelle pierre noire pourrais-tu m’attribuer ? Il n’ a pas hésité une seule seconde. Sur texto il répond : Ne te souviens-tu pas du coeur obsidienne oeil de ciel que je t’ai offert un jour en t’expliquant ses vertus puissantes ?
Tu te souviens du coeur et du geste de Noël après une longue séparation, mais tu as oublié peu à peu comment tu pouvais t’en servir. Tu consultes la Bible des minéraux, dans la bibliothèque de l’enfant d’aujourd’hui qui occupe sa chambre le mercredi, et tu confirmes immédiatement le caractère spirituel du cadeau filial. L’émotion d’un coup te monte à la tête. Offrir une pierre est une marque de considération qui n’a pas de prix.
Tu as égaré le coeur noir dans l’un de tes innombrables sacs (utérus) et ne le retrouveras plus bien sûr avant que le hasard des fouilles le remonte à la surface. Par amour et gratitude, tu as cru d’emblée au pouvoir de ce coeur sensuel au toucher, pendant une longue période, mais tu tenais chaque contact secret car on ne peut pas refuser une intention de protection aussi sincère malgré l’accueil ambivalent d’un objet aussi compact et muet. Ta fille ramenait parfois l’oeil de Fatma de ses pérégrinations à l’étranger… Et tu l’as gardé lui aussi. Enfants -cailloux !
Le magnétisme des pierres est visible. La magie des aimants le prouve. On s’en sert sur nos frigos où toutes sortes de magnets s’accumulent pour rappeler qu’on aime les images et les souvenirs de rien du tout, entre post-it et trophées de voyages. L’alphabet en premier, où s’écrivent les prénoms, les émoticônes des émotions, les gardiens de recettes de cuisine. Toute une vie commune sous des aimants.
Tu ne connais pas grand chose à la géologie, mais tu es amoureuse des pierres et des cailloux de rivière. Tu les fréquentes l’été sous de belles falaises de calcaire ajouré. Les dentelles superficielles de tout un monde souterrain beaucoup plus humide témoignent d’ères glaciaires et de transformations qui dépassent l’entendement, mais pas l’imagination. Ici, il y avait des lionnes, des aurochs, des ours de caverne et des mammouths. C’est bien sur les parois de roche calcaire, au coeur de grottes ténébreuses, munis de tisons et de mottes d’argile, que nos lointains ascendants les ont immortalisés. Tu as grandi non loin de la Grotte Chauvet sans savoir qu’elle existait. Aujourd’hui tu ne manques pas ta visite annuelle pour l’admirer.
Le coeur noir d’obsidienne est, me rappelle-t-il un bouclier. Ce serait un Romain Obsinus qui lui aurait légué son nom après sa découverte à l’état brut, en Ethiopie. Ce n’est pas une pierre rare puisqu’on la trouve aux Etats-Unis , au Japon; en Arménie, au Pérou, et bien sûr au Mexique… Elle est associée à l’action des chakras racines… C’est une pierre puissante qui doit être régénérée selon plusieurs méthodes que l’on trouve facilement sur internet (lit de quartz, pleine lune, soleil…), j’en déduis qu’il faut la soigner pour être soigné.e.s. Elle serait très puissante puisqu’elle induirait aussi l’introspection et ses chamboulements…
Une » pierre inexplicable » dirait peut-être l’écrivain volcanique Lionel Bourg qui l’a sans doute rencontrée dans sa propre quête au coeur des mines stéphanoises près desquelles il vit encore. Il faudrait que je le relise, car j’ai tout de suite pensé à lui lorsqu’il s’est agi de parler des richesses minérales et de leur contact. Tu vois bien que je mélange tout, et pourtant je sais que je m’approche de la valeur symbolique et sentimentale de ce que j’évoque. Les pierres ont de puissantes connections avec le vivant et ses outils.
70 à 80 % de silice, de fer, de magnésium, l’obsidienne noire provient d’éruptions volcaniques, elle est fille de lave figée, elle peut être rouge acajou. Elle a été utilisée et taillée pour ses qualités de tranchant ( lames, flèches, couteaux, armes…). Les Mayas Aztèques la réduisaient en poudre pour l’appliquer sur les plaies ( vertu cicatrisante). On la trouve aussi en France dans les fouilles préhistoriques.
Pierre d’ouverture spirituelle ou de défense contre le danger, l’obsidienne oeil céleste ne peut me laisser indifférente. Elle représente à la fois le temps et la permanence de l’esprit de guérison indissociable des destinées humaines. Je lui confère une valeur de grigri et de porte-chance lorsqu’elle a été donnée de manière chamanique, de la main à la main, dans un petit sac de velours. Je suis certaine de la retrouver intacte, après l’écriture de ce texte. Il suffira de fouiller dans mes archives sentimentales.
Je relie cette redécouverte avec un poème de Katherine Mansfield traduit de l’anglais par Jacques Ancet :
Tout au fond de l’océan
Gît un coquillage arc-en-ciel
Il est là, toujours, brillant paisiblement
Sous les plus hautes vagues des tempêtes
Comme sous les bienheureuses vaguelettes
Que le vieux Grec appelait ride de rire
Ecoute – tout au fond de l’océan
Le coquillage arc-en ciel chante
Il est là, toujours, chantant silencieusement .
J’aime beaucoup ce texte qui réussit l’exploit de parler de spiritualité tout en simplicité, sans être gnangnan ou pompeux.