Un caillou, un bête caillou ramassé par une petite fille sur le bord de la route et qu’elle me tend, avec son sourire d’offrande.
Je le tiens distraitement dans la main, quelques minutes peut-être, tout en discutant avec ma sœur de choses bien plus importantes qu’un bête caillou, et puis, sans même m’en rendre compte, je le jette.
Voilà ma nièce en larmes ! Qu’est-ce-qui t’arrive, ma choupinette ? Tu as jeté mon caillou ! Tu as jeté mon cadeau !
Me voilà soudain submergée par la conscience aiguë de cet horrible fait : toute sortie de l’enfance est une insulte au vivant. Toute sortie de l’enfance est une chute libre hors de la sacralité du monde. Où l’on devient tellement bouché que l’on ne voit qu’un bête caillou dans le cadeau que nous tend solennellement un enfant. Un caillou que l’enfant a vu, a élu entre tous pour être le messager de son amour. Il faut au moins toute la bêtise du monde pour prendre un messager de l’amour pour un bête caillou.
Ah mais quelle bêtise quelle bêtise quelle désastreuse et désespérante bêtise…
Et puis seul un adulte est assez bête pour croire qu’il existe des bêtes cailloux.
Tu ramasses n’importe lequel sur le bord de la route et tu le regardes suffisamment longtemps. Vas-y, fais l’expérience. Spoiler : tu tombes amoureux de ton caillou. Garanti. J’ai essayé, ça marche à tous les coups.