#écopoétique #10 | caillou – étude descriptive et émotionnelle

couleur d’un ciel nuageux, blanc jauni avec quelques ombres grises sur les lignes vagues de sa surface – morceau de nuage calcairisé gardant emprisonné les gouttes d’eau apeurées (je suis sorti de ma maison, j’ai fait dix pas et j’ai ramassé cette pierre insignifiante que j’ai appelée « caillou »)

éclat mat brut lourd, la lumière est entièrement absorbée par la matière et ne souffre d’aucun scintillement – les sédiments fossilisés me racontent une histoire quand les molécules de l’homme étaient encore dispersées (caillou mesure une dizaine de centimètres de long et environ cinq d’épaisseur et je le trouve particulièrement bavard)

opacité maximale aucune transparence, poussière d’univers sans âge, état sauvage au plus haut degré – son immobilité me toise et m’interroge avec une familiarité qui me surprend (caillou parle trop pour ne pas avoir de secrets, cela me laisse perplexe)

forme pyramidale, triangle qui s’étire dans la troisième dimension, tient en main malgré ses arêtes vives – fond d’un océan, agrégation de coquilles et de squelettes de micro-algues sous l’apparence de carbonate de calcium (caillou est le tombeau de fossiles oubliés et invisibles, son apparence ment, il me dit qu’il n’est pas grand chose)

dureté moyenne, ne laisse pas de trace sur la porcelaine dépolie mais la pièce en cuivre le raye, 4,5 sur l’échelle de Rosiwal – lorsque le pli hercynien souleva le Massif central, puis quand les les Alpes et les Pyrénées suivirent le mouvement le continent Tyrrhénéen donna naissance à la chaîne de Carpiagne (caillou joue les durs mais il est émotif, il a le goût du sel et du romarin)

dense comme un cauchemar dont on n’arrive pas à se défaire, dense comme un souvenir qu’on ne parvient pas à oublier – dans une autre vie, les micro-organismes régnaient et les jeunes pierres n’étaient que des souvenirs imparfaits (caillou me montre ses cicatrices)

un morceau de bois fossilisé, les nervures comme des vaisseaux sanguins saisis dans la roche racontent une fin tragique par temps victorieux – la fêlure raconte la vraie histoire, bien plus que la matière, je la suis avec l’ongle de l’index (caillou devient une pierre molle dans mon regard, je le trouve subitement tendre et sa surface rugueuse devient duvet)

des larmes d’acide ont creusé un sillon à sa surface dévoilant les traces d’un insecte emprisonné – livre fermé que nul n’ouvrira jamais (caillou me demande de l’oublier, je le repose par terre et je reviens sur mes pas)

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

4 commentaires à propos de “#écopoétique #10 | caillou – étude descriptive et émotionnelle”

  1. ah chez toi aussi il y a un goût salé dans l’histoire ! et je le ressens fort ce goût de sel…
    oui lumière absorbée et absence de transparence, « dense comme un cauchemar » et cette transformation de la pierre au fil de ton observation
    tout à fait réussi ta mise en récit avec parenthèses

  2. « morceau de nuage calcairisé  » – j’aime
    caillou ( quel joli mot caillou) (caillou bavard ? caillou à goût de sel, caillou me montre, caillou demande …) j’aime comme le regard et les mots font caillou

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