La cage noire d’un théâtre fut longtemps mon centre du monde, abri atomique de carton-pâte ou navire immobile. En Région Centre, longtemps. On y parlait encore en francs, un français sans accent – si vous le dites . Bonjour – c’est à Bourges fin des années quatre-vingt, le 9 novembre 1989 le mur de Berlin tombera, aujourd’hui c’est le 7 ou le 8 . Bonjour, je cherche le théâtre : Bonsoir répond la femme derrière le comptoir, à sept heures du matin ça surprend, ici c’est l’usage – clapotis de marécages et goût de sablés Nançay – oui, tous les croissants sont au beurre – Bonsoir : prenez à droite et marchez vers le centre. Je prends la flèche de la cathédrale en ligne de mire – à l’époque je ne vois pas encore double, deux flèches pour un centre imaginez seulement, deux flèches et plus de centre.
Je remonte la rue dans le presque jour, il bruine, bruits de sabot de bois sur le pavé et hululements: projection mentale , hallucination auditive, une rémanence de légendes berrichonnes? Ça vous sort du pavillon de l’oreille on ne sait pas trop comment – J’ai froid, mais que j’ai froid; Bourges est une ville où j’ai eu froid, très froid, et chaud, très chaud; les gens n’y sont ni froid ni chaud : une façon de se préserver sans doute; j’ai pensé que ça cachait quelque chose, il aurait fallu creuser, visages et sourires neutres sans accents; il faudrait creuser la matière des gens, passer sous la peau, se fondre sans trop forcer le masque : Bonsoir!
« Construit en 1860 sur l’emplacement d’un autre théâtre détruit par un incendie, la façade présente un décors néo-renaissance de proportions modestes, Le Jacques-Coeur n’offre que 350 places. C’est un théâtre à l’Italienne avec stucs, lustres et balcons . Au théâtre Jacques-Cœur un boa réchappé d’un spectacle de magie hante les dessous de scène dit-on – ça le guide touristique ne le dit pas – au Grand de Tours c’est un pendu qui occupe l’inconnu des cintres.
Me voici au « théâtre » des planches, au plateau on dit théâtre pour désigner le centre. C’est au théâtre des planches qu’on pose la Servante, veilleuse des heures creuses. Tout est noir ou presque : l’œil central incandescent veille. Mon cœur bat : Maintenant que tu as remonté le temps descends un peu pour voir – à l’Alliance Française ma mère jouait La Princesse Turandot – j’ai huit ans- elle m’emmenait au théâtre en matinée, je quittais la loge pour me glisser dans les dessous, c’est comme un grenier de sous-sol avec voix par dessus tête et raies de lueurs tremblantes : même pas peur !
À cours j’emprunte l’escalier dérobé de coulisse : Allez descends, vas faire ton tour de sous-sol ! Poussière d’ombre, lit de tentures recyclées noir velours, projecteurs d’un autre temps pas forcément hors d’usage, guindes, confettis de neige … En-dessous du premier dessous un autre plancher, des trappes encore, j’en dé-trappe une au hasard, comme retourner une carte pour savoir sans y croire : Rien, juste un trou de terre meuble, profond de quelques pieds, assez large et long pour s’y coucher de tout son long, pile à ma taille; je m’y glisse, les hanches forcent un peu c’est vrai, avec le temps on s’élargit, on se tasse comme la terre, on se raidit et on s’effrite . Les os des hanches sont les plus longs à brûler dit-on : inhumation ou crémation ai-je l’âge de la question ? Passer par les flammes et quoi – on rêve devenir Feu et n’être qu’un feu de paille -, rien qu’un petit tas de cendre.
Descendre, descendre encore. Est-ce le trou du souffleur élargi en tombeau, une cachette de vieil acteur au chant du cygne ? Mais laissez moi pourrir tranquille, comme une façon de se fondre – j’ai huit ans où c’est hier je creuse avec une petite pelle, une rouge je m’en souviens, comme à la plage je tire de la terre des cailloux, des vers, un tesson de bouteille… je veux voir dessous, fouiller, gratter – la trappe retombe, disparition, promesse de décomposition : Si tu savais comme j’ai froid – même pas peur. C’est au Théâtre Jacques-Cœur, je serai bientôt morte, là-haut dessus les planches les pas tambourinent, raffut du diable ou bourrée de sorcière; à présent il va falloir creuser la terre à mains nues
3 commentaires à propos de “#écopoétique #09 | remembrance”
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Beau et terrible. Merci Nathalie.
Oh, les échos entre vos textes et vos « creuser la terre à mains nues », si beaux. Tout cet univers sous le plateau qui se dévoile et devient prétexte à autre chose. C’est très beau. Et merci aussi Nathalie pour ce partage de Bourges, son climat, la façade du théâtre, le sans accent des gens, la cathédrale. Heureuse de les retrouver sous tes mots.
Ugo. Anne merci de vos passages et retours.