l'histoire est entamée : il s'agit d'un travail en cours, qui continue, comme on disait "faire tourner le bazar pour le faire entrer dans le truc" - ou l'inverse - il n'y a pas tellement de nécessité à cet épisode - une espèce de remplissage des jours peut-être mais l'aspect de l'honneur promis à Aldo (le premier "lui", c'est lui) en un certain sens (n'était-ce qu'un bruit ? un espoir ou une fausse piste ? tout dans cette histoire prête à confusion(s), délire(s), suspicion(s) - tout : enfin presque) - en tout cas, ce n'est pas le rang de président qu'il occupait qui l'a servi ou qui a empêché le désastre
Les premiers jours de Mai (dimanche soir)
Quelque chose qui lui était promis – un honneur et une grâce, une charge et une ânée peut-être, des émoluments en tout cas (une forme de rémunération pour des services honorifiques peut-être mais rendus – il aurait eu soixante deux ans, respectable – des frais de représentation, un tailleur, un coiffeur une manucure (profession exclusivement féminine, tu vois) s’il le faut, un valet) quand même, une résidence d’apparat (cuisines latrines salles et d’eau et de bains) et des automobiles dites de fonction, un avion probablement, un Castel Gandolfo profane tout aussi probablement (un yacht ?) – le centre du monde de ce pays-là – dans cette ville dite aux sept collines et sur le faîte de l’une d’entre elles, le Quirinal, le palais du président, qui domine la ville et la toise – le siège de la présidence de la république (on devrait sans doute y mettre des majuscules mais au moment évoqué où s’écrivent ces lignes, plus rien n’a d’importance, elle ne date d’ailleurs que d’à peine trente ans, cette république : autant dire rien – l’état pontifical sur l’autre rive du fleuve en est à son deux cent soixante-deuxième serviteur souverain prélat
À Rome, dignitaire ecclésiastique attaché à la maison pontificale ou à la Curie romaine, portant la couleur violette et ayant droit au titre de Monseigneur.
– le fascisme est passé par là, durant plus de vingt ans – sale goût, sale odeur, sale sensation de redite aujourd’hui) – une république de Salo aussi, aussi éphémère et pourrie que le régime précédent – le truc occupe plus de cent dix mille mètres carrés (j’ai pensé à la résidence de l’odieux hongrois, à celle de mille quatre cents chambres – le mot est bas – du turc, celle qui vaut – dit la glose – plus d’un milliard du protecteur du gros russe, là : il s’est fait porter pâle à son procès, c’est dire sa dignité (joue la montre, salopard) – qui sont-ils ? les grands de ce monde) d’ailleurs des papes y résidèrent ainsi que la famille royale italienne, dite maison de Savoie – enfin tous les régimes y sont passé – ce monde…) (grands, blancs, riches et j’en passe, notamment tout le versant libidinal afférant) – on dit que cette colline est la plus haute des sept – et lui, qu’aurait-il été, le septième ? – c’est dans le temps qu’il faut creuser : dans l’ancien sans doute, c’est là, c’est un honneur, une charge, un statut, c’est là et ce ne sont que des hommes, blancs, catholiques apostoliques probablement et romains quelle affaire rien ne se fait sans cette religion quand même l’état en serait séparé – on lui disait qu’en octobre, à la fin de la présidence de Leone (ce dernier, éclaboussé du vin des pots touchés, aux orties jette son habit le quinzième jour du mois suivant) : lui n’en voulait pas et à ce moment-là encore moins je suppose : il y a des choses à dire à ce sujet, des choses difficiles à concevoir, par exemple qu’il ne voulait pas prendre la direction du parti mais qu’on l’a convaincu de le faire (sans doute le goût du pouvoir, le goût de la politique, celui de réussir sa vie et de parvenir à l’une des plus hautes fonctions du pays, le mener ce pays sur la voie du pouvoir partagé (le mot trouvé « compromis » est à prendre aux deux sens…) quelque chose qu’il avait déjà réussi à ourdir, sur sa gauche avec les socialistes dans les années passées – mais quelque chose qui n’était pas écrit ni promis à un enfant d’instituteur du sud – sa mère l’était aussi, institutrice et du sud – devenu professeur de droit et rédacteur peu après avoir eu trente ans de la constitution de cette république-là – chef de l’état comme le roi d’Angleterre (à ce moment-là, il s’agissait d’une reine, sa très gracieuse majesté E2) ou celui d’Espagne (premier des Jean Charles, lequel parvint au pouvoir à la mort de 2FB le caudillo, un mètre soixante au garrot, décédé et arraché à l’amour des siens en soixante-quinze du siècle d’alors) – parvenir ensuite, parvenir, je ne sais pas, on le lui promettait, le centre de l’état peut-être pas exécutif ni législatif, mais le centre tout de même – l’aurait-on vu en grande tenue recevoir ceux (plutôt ceux) qu’on intitule (donc) les grands de ce monde ? – une promesse qui ne serait pas tenue : il n’en voulait pas, il était à genoux, devant son lit de camp, il priait, il écoutait une messe et pour sauver sa vie, il écrivait – il écrivait des lettres à celle qu’il aimait, il tentait de comprendre et puis finalement, non – ça ne servirait à rien – et encore plus profondément, plus loin encore cette vie-là, à quoi sert-elle, qu’en fait-il, on la lui prend on l’emprisonne on le juge mais lui ? Pourquoi lui, le plus honnête sans doute, le moins corrompu peut-être, pourquoi lui, là, sa mèche de cheveux blancs, ses costumes croisés et ses tentatives d’influer sur le cours des choses plutôt par la parole, sans avoir à dénoncer quiconque, tout en masquant ce qu’il avait à répondre mais en faisant comprendre, en contournant les écueils d’une parole trop nette et prompte à trahir, ça m’a échappé pardon – sept semaines et peu de jours, allongé là, il dort il rêve peut-être à un avenir enchanté dans la douceur des jardins du palais
pour aller au fond des choses, écrire pour sauver sa vie est une attitude qu’on nous enjoint de tenir (aujourd’hui on dit « assumer ») (est-ce vraiment une attitude ou une foi ? – quand débute l’autofiction (comme on dit) quand se termine la seule fiction ?) Le vieux Sam disait bonkaça, bof – on s’en fout – à ça ou à autre chose, quelle importance ? Ajouter à la pléthore ? Pourquoi faire ? Peut-être que toute cette entreprise ne (me) sert qu’à ritualiser le fait que rien ne sert à rien (j’allume le poste tout à l’heure et des sms pleuvent aux US où on « assume » d’écrire aux noir.es qu’ils (et elles) vont retourner dans les plantations de coton) (le nihilisme nous guette, et contre lui se dresse le narcissisme) – qui est obligatoire pour écrire quelque chose qui se vendra – attitude vraiment, pose, prix littéraires, ventes petits pains invitations débats chroniques creuse mon fils creuse… ce monde, ce même monde, univers idiot d’armes forces meurtres sang épandu pleurs et larmes détresses (hier dans le poste le Deladonchamps alias Antoine Leiris retenait les siennes – ou faisait en sorte de, illustrant par là les limites de la fiction) il s’agit de quelque chose d’indicible, mais faisons-en des images quand même ou un billet, un mot des mots – vivre enfin.
Je viens d’aller relire l’affaire Aldo Moro. Ton texte ramène une période ancienne. Il est à la hauteur du sujet. Avec cette myriade de petites touches, parenthèses dont tu as le secret. Ta façon de raconter décrit l’imbroglio, le piège, l’inéluctable… Il fait mouche. Beaucoup apprécié, merci, Piero.
merci à toi Anne
tout et ces centre celui de l’état et celui de sa chambre et celui de ceux qui lâchent
creuser le passé de la ville aux sept collines on n’en finirait pas de descendre les siècles avec des caillots des moments où. ça se passe encore plus mal pour freiner la descente,et la gloire
et cette réflexion « le mot trouvé « compromis » est à prendre aux deux sens » qui s’applique fatalement à tant et tant
le principal aussi : votre façon de le penser et dire