Au prochain lacet, il n’y aura plus le rond panache de la vallée.
Au prochain lacet, il y aura un grand enchevêtrement de branches.
Au prochain lacet, il n’y aura plus à s’étonner de pouvoir voir un arbre d’aussi loin dans la vallée et de le voir pourtant seulement surgir au dernier détour du chemin, d’un coup tout près.
Au prochain lacet, je n’aurai plus à espérer le surgissement furtif de la voix des hadas venues avec leurs petites capes blanches me révéler les secrets des soins, des germinations, des soudures et bien d’autres encore, je n’aurai plus à chercher pour m’y coucher le coin berceau entre les racines pour la nuit de belle étoile seulement troublée des passages de sanglier, je n’aurai plus à guetter l’apparition d’une lointaine étoile par une coulée de feuilles trouant le rond panache jusqu’au ciel, je n’aurai plus à accepter les frissons de la nuit fraîche de montagne comme prix d’une attente ardente, encouragé par la terre à réglisse, les nuages passant en grandes capes blanches dans le ciel et ma propre haleine vibrant de chants retenus.
Au prochain lacet, il y aura en travers du chemin comme un immense fagot et aucune braise pourtant pour faire renaître le feu, un éparpillement de mikado de géant et personne n’ayant envie de jouer, plus aucune rondeur, seule l’horizontalité épaisse du tronc et le surgissement incompréhensible des branches déjà éclairci pourtant de quelques coups de tronçonneuse, il y aura donc un certain passage entre le temps d’avant et le temps d’après, le temps des rêves et celui de la mémoire, de grandes cannelures dans le tronc, des barbes de mousse étonnées de toucher presque terre désormais, des peuples de lichen déchus, et quand même un petit arbre prêt à pousser derrière, que le grand aura su épargner dans sa chute.
J’aime cette répétition « au prochain lacet » avec les négations qui suivent avant l’affirmation de ce qu’il y aura. Et la note d’espoir après la nostalgie éprouvée à lire ton texte. Très beau, merci.
C’est l’obstacle à la vue qui fait espérer de retrouver l’ arbre intact dans la broussaille artificielle d’une crue. « Une attente ardente » qui se verticalise… jusqu’à l’écume du ciel. Vos mots sont des vocalises qui dédramatisent le paysage bousculé par cet écroulement de « mikado » qui fait croire à un jeu de massacre mais qui n’y prête aucun encouragement. Agréable lecture d’une fuite en avant.
il semblerait que le méandre ait été troqué contre un lacet (j’imagine de chemin) et que la déambulation ait remplacé la nage, mais on s’y retrouve et c’est bien aussi la transposition des consignes
je suppose que ça se passe dans les Pyrénées vu qu’il y a des fées, mais là aussi on s’en fiche pourvu qu’on ressente « les frissons d’une nuit fraîche »
merci pour toutes ces belles sensations
Un texte qui nous emporte dans son chant mélodieux. Et cette répétition qui nous projète dans un futur si proche qu’on le touche du doigt. Merci pour l’agréable moment de lecture.