Certains couchers de soleil prennent des airs de clair de lune. L’ombre s’allonge sur le chemin blanc, toujours plus pâle, trébuchant sur les cailloux.
L’air est gorgé de machines. Derrière, les véhicules tout schuss sur la route. Devant, un bruit de tracteur au ralenti. Plus loin, une espèce de souffle. On remonte la rue du hameau, les murets, les grillages, les portails, les jardins et les hangars. La vieille Fuego sur ses cales, le tas de pierres, la réserve d’eau à sec. Les façades, les murs.
Au bout, la petite Victoire fait du vélo entre l’étable et la maison. Elle tourne autour du tracteur de son père, en train de vérifier les dents de fer d’une herse. Elle sourit. Pas le chien gris chiné qui s’avance en aboyant, se glisse derrière vous et vous suit un instant en silence.
Dans le jardin clos de la maison, le chien noir n’aboie plus. Il reste assis devant le grillage et vous regarde passer. À moins qu’il observe, de l’autre côté, les garçons courir dans le hangar et disparaître derrière la bétaillère. Des bottes de paille jusqu’au plafond forment un mur, un banc à son pied.
Un tas de pneus, une moissonneuse sans barre de coupe. Le troupeau de vaches, des limousines à robe froment vif, autour d’un grand abreuvoir et d’un râtelier à foin, les sabots largement enfoncés dans la boue. Tout le monde vous regarde passer en ruminant, l’œil grand ouvert.
Le souffle d’on ne sait quelle machine s’est arrêté. Au passage de la haie, un oiseau s’est enfui en piaillant, invisible.
Le chemin file entre leur pré herbeux et un grand tapis de terre labourée, hersée, et comme tamisée, en nuances de gris. L’ombre s’allonge, encore plus pâle, butant sur celles des cailloux qui craquent.
On arrive au carrefour de la voie romaine, en chemin blanc et quelques flaques à gauche, en chemin de terre à ornières à droite. En face, à flanc de coteau, les rangs de vigne, l’herbe haute. Certaines pentes douces ont des allures de mur d’airain. Entre les lignes de ceps noueux, aux feuilles flétries, déchirées, la terre s’élève, l’herbe s’épaissit. On monte, on s’enfonce, un peu de vent dans le dos, les pieds au frais. La levée se boucle frontalement. Une haie d’arbres se dresse, dernière vague d’ombre persillée absorbant les ultimes rayons du soleil d’un rose, enfin, blafard et fuyant. On glisse, on s’enroule. On imagine s’insinuer dans un des terriers qui se faufilent entre les racines, même si la galerie est étroite et humide. On déloge l’animal. Et plus au fond, la terre poisseuse laisse place à une voie plus resserrée, mais bien plus libre, entre les murs de la roche blanche, aérée, friable, tiède, qui débouchera sur un retour chez soi. On se retournera tant bien que mal. La ligne d’horizon sonnant le clair-obscur.