Journée de presque été en ce premier jour de novembre. Décider de prendre le bus pour rejoindre le fleuve. Descendre Porte de Bourgogne sis au bout du cours Victor-Hugo à Bordeaux Nouvelle-Aquitaine. A quelques centaines de mètres, le Pont de pierre voulu par Napoléon 1er pour relier le quartier centre de la ville à celui de la Bastide. Deux morceaux de ville longtemps séparés par la tumultueuse Garonne.
Aujourd’hui, en traversant le pont je t’observe Garonne, paisible en amont, plus agitée en aval. Remous causés par ta lutte pour franchir les dix-sept arches du pont, et te faufiler entre les piliers. En ce début d’après-midi tes eaux sont d’un marron intense, pareilles à celles des tableaux d’André Derain.
Prendre sur la rive droite, le bateau urbain pour mieux vivre le fleuve. Être au niveau de l’eau. Mieux sentir l’air du large, de l’Atlantique. Tes eaux sont devenues d’un bleu Klein. Se souvenir d’une autre traversée en mai 21, première sortie d’après confinement. Se souvenir des sentiments de ce moment d’après l’enfermement, du bonheur de te retrouver Garonne, d’avoir l’impression de sentir les effluves de l’océan sur nos peaux, de respirer l’air du dehors, de se sentir libres, de s’être émerveillées de la vibration des couleurs, de l’intensité du bleu du fleuve, du vert de la végétation, du blanc éclatant des nuages.
Premier arrêt du bateau les Quinquonces, rive gauche, la rive est maçonnée pour supporter les quais et la ville du 18e.
Traversée de Bordeaux, ton dernier effort avant de rejoindre l’estuaire de la Gironde et de mêler tes eaux à celles de la Dordogne. Durant ces cinq-cents vingt-cinq kilomètres, au fur et à mesure du parcours, tu as charrié les eaux du Lot, du Tarn, du Gers, de l’Ariège, de l’Aveyron, de la Baïse… A Bordeaux, tributaire des marées de l’Atlantique, jusqu’à six mètres de marnage en période de grandes marées, tu deviens navigable.
Je descends à la station Hangar, monte la rampe pour rejoindre le quai et marcher rive gauche pour repartir vers le pont de pierre. Trois longs bateaux de croisière, le Scenic Diamond, le Viking, le Cyrano de Bergerac, gâchent le paysage fluvial, formant comme un mur le long du fleuve et offrant aux promeneurs des quais, la vue sur les cabines ou sur les personnes se prélassant sur le pont.
Marcher et tourner le dos à la ville. Ne pas regarder les immeubles du quartier des Chartrons, ni les visages épanouis des promeneurs, ni les manèges de la fête aux plaisirs installée place des Quinconces, n’avoir d’yeux que pour toi Garonne. Pour ta couleur devenue gris-bleu parsemée de taches sombres gris-noir. N’avoir d’yeux que pour ta rive droite, plus naturelle que celle sur laquelle je marche, pour les feuillus aux couleurs d’automne, jaune, rouille, plus loin pour le bosquet de platanes aux feuilles jaunes-orangées, bientôt brunes. Soudain, ta rive perd son caractère naturel, j’aperçois la gare d’Orléans transformée aujourd’hui en multiplexe.
Fin de journée, fin de la boucle, je vais une dernière fois sur le pont de pierre te saluer Garonne, admirer le gris franc de tes eaux, parsemé des frémissements orangés du coucher de soleil.