sur l'air de music for 18 musicians de Steve Reich
Ni la tartine qui tombe toujours du mauvais côté, ni le métro qui n’arrive jamais quand on est en retard, ni les chats qui griffent les canapés tout en nous regardant d’un air innocent. Ni les chaussettes qui disparaissent dans la machine, ni les clés qu’on perd au moment où on en a le plus besoin, ni la machine à café en panne un lundi matin. Ni le voisin qui perce des trous dans les murs à des heures improbables, ni les parapluies qui se retournent sous la pluie, ni les taxis introuvables quand il pleut des cordes.
Ni les emails qui s’accumulent sans jamais être ouverts, ni les mots de passe qu’on oublie, ni les publicités intrusives qui s’invitent à chaque clic. Ni les notifications qui surgissent sans prévenir, ni les télécommandes qui disparaissent mystérieusement sous les coussins, ni le Bluetooth qui refuse de se connecter pour écouter des conneries en sourdine. Ni les mises à jour intempestives, ni les photos floues malgré des appareils qui promettent de capturer l’instant parfait.
Ni les poignées de main hésitantes, ni les discussions sur la météo qui n’intéressent personne, ni les sourires forcés en réunion. Ni les promesses qu’on se revoit bientôt sans qu’on se revoit jamais , ni les débats sans fin sur des sujets que personne ne maîtrise, ni les silences gênés dans les ascenseurs. Ni les anniversaires Facebook d’amis décédés, ni les discussions stériles sur des sujets déjà épuisés.
Ni les régimes miracles qui ne fonctionnent jamais, ni les jus, les fioles, les potions qui promettent la santé mais nous flanquent des aigreurs , ni les plats à emporter qu’on prétend « sains » pour se donner bonne conscience. Ni les courses de dernière minute, ni les livres de cuisine qu’on n’ouvre jamais, ni les hamburger de chez Macdo qui ne ressemblent jamais à la photo. Ni les brunchs interminables où l’on se demande pourquoi qu’on est venu qu’on était si bien sous sa couette, le dimanche matin surtout quand en prime c’est si long d’être servi, ni les pizzas ridicules, les hachis à chier, la moussaka congelée qui finissent toujours par l’emporter sur les repas équilibrés.
Ni les retards de train annoncés au dernier moment, ni les sièges trempés après la pluie, ni les files d’attente qui s’étendent toujours plus loin qu’on n’en voit pas la fin . Ni les taxis qui choisissent toujours le chemin le plus long, ni les embouteillages qui transforment dix minutes en une heure, ni les métros qui se bousculent tous sauf celui qu’on attend. Ni les bagages à main qui ne passent jamais sous le siège, ni les vélos en libre-service toujours déchargés, ni les piétons qui surgissent sans prévenir.
Ni les forêts qui s’éteignent sous nos yeux, ni les océans de plastique qui s’étendent à perte de vue, ni les rivières qui se muent en flots de pollution. Ni les glaciers qui fondent sans que l’on sache quoi faire, ni les vagues de chaleur qui nous frappent comme des avertissements. Ni les lois climatiques qui ne viennent jamais, ni les rapports qui s’accumulent sur des bureaux trop bien rangés. Ni les campagnes pour sauver la planète pendant que les avions défilent dans le ciel, ni les plantes en plastique qui décorent nos bureaux.
Ni les promesses politiques qui ne seront jamais tenues, ni les gouvernements qui tournent en rond dans leurs propres contradictions, ni les discours sur la paix pendant qu’on signe des contrats d’armement. Ni les ministres qui s’échangent les portefeuilles comme des chaises musicales, ni les réunions internationales qui se concluent par des poignées de main sans lendemain. Ni les commissions d’enquête qui n’enquêtent sur rien, ni les rapports qui finissent dans des tiroirs oubliés.
Ni les présidents qui font des sourires devant les caméras pendant que les crises s’accumulent, ni les plans « anti-crise » qui plongent tout le monde dans une autre crise. Ni les réformes annoncées à grand renfort de communication mais qui ne changent rien. Ni les budgets pour des projets inutiles pendant que les écoles tombent en ruine, ni les lois sur la sécurité pendant que la planète brûle, ni les promesses de relance qui ne relancent jamais rien.
Ni les sirènes d’alarme qui se déclenchent dans les villes dévastées, ni les foules qui se dispersent sous des cieux chargés de fumée, ni les cendres qui retombent après l’incendie. Ni les gouvernements qui vacillent sous le poids de leurs propres décisions, ni les promesses de croissance infinie dans un monde en déclin, ni les guerres qu’on allume comme des feux d’artifice.
Ni les cris étouffés par le bruit des machines, ni les regards vides derrière les écrans, ni les décisions absurdes qui se succèdent comme des dominos prêts à s’écrouler. Ni les cendres qui retombent dans un silence lourd, ni les visages éteints, ni les lendemains qui n’arrivent jamais.