# écopoétique # 06 | variations pluies

Froides diagonales métalliques, ne barrez pas le passage, l’enfant malgré tout se risquera et traversera pieds nus sans parapluie sans paradis. Le monde habite les flaques.

Laisse-là, ne la gonfle pas avec tous tes ruissellements, tes fuites en avant, tes fontes des neiges qui la débordent. Arrête-toi, laisse couler la rivière, tranquille comme elle l’est dans nos rives, dans nos rêves qu’elle peuple avec ses trembles penchés, ses peupleraies, ses cygnes un peu sauvages et ses barques d’avant. Laisse-la échapper au surplus, à l’inondation, laisse-la se refaire un lit dans le mitan du lit y a une tant belle fille elle a tant d’amoureux qu’elle ne sait lequel prendre. Mais si tu ne parles plus la langue des gouttes d’eau venues des nuages, que deviendra-t ’elle ?

A quatorze ans : un guet aux oiseaux, partir camper. Décamper, quitter l’enceinte pour un peu. Maison endormie. Sac préparé la veille. Contre les volets encore fermés, on dirait le bruit de la pluie, gouttes serrées, précipitées. Le soleil n’est pas encore levé et déjà la journée prend l’eau. Ouvre les volets pour voir l’étendue de la désillusion. Mais ce n’est pas la pluie, c’est le feu qui crépite en face. L’incendie dévore les granges de l’autre cour. Alerte. Cris. Familles arrachées du lit. Le soleil se lève, les charpentes calcinées s’effondrent. La journée qui s’annonce est radieuse. Pas un nuage.

J’entends ce soir l’orage gronder sur la forêt. La chanson de Marie s’échappe du transistor, effet immédiat dans le magma des quinze ans. Ouvre la fenêtre, écoute : la voix rejoint les éclairs de l’extérieur. Flashs dans la cour des granges, juste avant la musique des millions de grosses gouttes, comme grains tombant dans la remorque des moissons quand Marie chante.

Pleuvoir et pleurer, ce jour-là c’est sur le sable : les gouttes lourdes forment des centaines de petits cratères et la plage d’un seul coup est désertée. Enfin seule. Marche.   

Il pleut. Qui ça,il ? écrit Philippe Garnier et voilà l’averse de ses mots en présence, l’image de la rue Notre-Dame des Champs brillante et rafraichie,  les paroles sous capuches  ,  Brassens croisé dans la rue : l’homme-chanson te suit des yeux, toi et ton faux-air de Bécassine trempée comme une soupe avec ton vieux parapluie retourné, inutilisable.

 La pluie ne tombera que dans le sillon des soifs renouvelées ; la pluie viendra rechercher un jour ses enfants les océans, les larmes, les eaux douces. Pluie est dans le texte. Pluie est le texte. Chanson écrite en pleine vingtaine. Année de sécheresse, terre craquelée, conscience aigüe, hasards sans lendemain, année des sources qu’on croit taries, année où l’on ne voit rien venir à part mirages et nuages de poussière. Année traversée par l’attente. Viens !

Pluie des petits pas sur le vieux toit restauré, ô toi que j’écoute, ne me déborde pas, ne m’impose pas la menace du déluge qui rôde quand les nuages font peser leur ombre d’avant la tempête. Il n’y aura plus jamais de déluge, c’était écrit. Et si le ciel encore une fois avait menti ? Inexorable la nébuleuse des dangers se forme, personne n’est à l’abri.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

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