Tombez, ô Pluies, sur les petits pavés bombés comme les enduire de laque, les faire briller des lumières de la ville, parce que la nuit d’hiver semble ne jamais devoir relâcher sa prise sur le jour comme l’étouffer sous un oreiller, quand la joie n’aura pour s’arrimer que ces éclats de néons et de lampadaires pour le corps trouver de quoi presser le pas, avancer, un regard à la montre, ne pas être en retard, le pas vif de la jeunesse, le pas sonnant des talons hauts, si longtemps à en avoir rêvé, être enfin en âge, et du coup obligation de perdre le goût de sauter dans les flaques, il faut le pas zigzag du corps pour les éviter. Quand pour ramener le spleen des origines, il n’y a plus que vous, ô Pluies, chantez et bercez-moi dans votre liquide amniotique.
Pluie affrontée, ravigote, fouette, gifle le visage pour réveiller tout le corps en footing, pluie ruisselante, noie dans l’insignifiance les larmes qui perlaient, pluie espérée, éteins l’incendie des bronches de la peau en irruption, pluie inventeuse de mots qui n’existent pas, il drache, il plevine, il bruine, pluie des origines, il pleut sur Nantes, il pleure dans mon cœur, pluie d’hiver, réveille les douleurs, éteint les envies de vivre, précipite les suicides, pluie d’hier, ramène les souvenirs du temps passé, pluie d’hier, qui se sublimerait en neige, jusqu’à l’épuiser un jour, pluie d’hier, quand j’allais un cartable prune pesant au bras, le dos contrebalançant le poids dans la main, pluie du petit matin ton sur ton gris aussi le trench doublé de fausse fourrure, l’athénée avait inventé une heure zéro, celle précédant l’ouverture habituelle, pour caser les heures qu’on n’avait pas pu placer ailleurs. Pluie d’hier sur le bébé nouveau-né à poser à la crèche. Pluie d’hier à deux se serrer sous le parapluie bleu avec son chat rouge, l’arrêt de bus, la foire, l’indécence du chat rouge à l’enterrement de la mère de l’ami, pas vingt ans, à deux sous le parapluie, grelotter à tenter d’imaginer ce que lui vivait, la mort de la mère… Pluie sans parapluie de les avoir laissés là, à terre, aux pieds, dans un porte-parapluie prévu à l’entrée ou de hasard, tout faire pour se débarrasser de lui ou lui, glacé, dégoulinant, encombrant, avec son manche en vrai bois recourbé et d’être repartie en les oubliant, parce que sans doute la pluie avait cessé. Pluie des origines qui a cette particularité, celle de ne jamais durer. Comme la Pluie d’hier, éphémère.
Prolonger ce texte avec celui du commentaire de Marie-Thérèse Peyrin comme écrire en écho…
Des souvenirs comme s’il en pleuvait, des vrais et des inventés de toute pièce pour remplir la page absorbante de l’écriture. C’est au degré d’humidité et de tarissement que le parapluie de la voix scande le floc à floc dans cette danse immémoriale de l’ondée céleste qui chute sur la terre doucement ou avec fracas. L’image des pavés glisse sous la rétine comme un diadème éphémère perdu par Cendrillon un jour de bal, ou Poucette un jour d’école. Un porte parapluie vide est -il signe d’adieu ? La pluie fait- elle grandir ? Pourquoi les chats rouges viennent-ils aux enterrements pluvieux ? La pluie tombe aussi sur les tombes et elle s’en fout. C’est toute la vie qui passe dans ce texte, l’air de rien…
ah oui toutes tes pluies rassemblées là dans un flux constant et pressant et qui nous basculent d’un temps à l’autre…
très bonne idée que l’italique pour guider la lecture et augmenter l’attente
s’il fallait n’en retenir qu’une, j’avoue que j’hésite et opte finalement pour « pluie inventeuse de mots qui n’existent pas » !!
je salue ton retour sous la pluie, chère amie Anne…
Ta remarque en forme de salut m’amuse beaucoup. Merci doublement de ton passage, chère Françoise.
J’aime quand les mots et les phrases dégoulinent de la sorte comme la pluie incessante. J’aime cette déverse généreuse d’idées venues d’on ne sait où, du ciel peut-être comme l’eau qui ruisselle. Beaucoup aimé, merci.
Merci, Jean-Luc, de ta lecture : « d’idées venues d’on ne sait où », tu as tout saisi de ma façon d’écrire. C’est salvateur ta formulation comme une validation. 🙂
Ah ces éclats sur les pavés je les vois; mosaïque chasseuse de cafard. Belle litanie des pluies d’hier et de pas si ancien . Et le parapluie métonymique dont on ne sait pas quoi faire après usage . Et la pluie qui se sublimerait en neige . Merci Anne.
Merci de venir me lire, les pluies ramènent tout et n’importe quoi, une tentative de retour ici en écriture aussi peut-être… C’est bien de vous retrouver.
Merci pour ces balades sous la pluie, sous les pluies qui font briller des souvenirs… »Quand pour ramener le spleen des origines, il n’y a plus que vous, ô Pluies, chantez et bercez-moi dans votre liquide amniotique. »
Il a plu il pleut il pleuvra sur nos vies, magnifique de te suivre Anne, surtout dans l’oubli.
» Pluie sans parapluie de les avoir laissés là, à terre, aux pieds, dans un porte-parapluie prévu à l’entrée ou de hasard, tout faire pour se débarrasser de lui ou lui, glacé, dégoulinant, encombrant, avec son manche en vrai bois recourbé et d’être repartie en les oubliant, parce que sans doute la pluie avait cessé. »
Pluies conjugaison, merci Raymonde, de m’avoir lue. Bises
Merci, Solange, d’avoir relevé ce passage, comme le sauver des eaux. 🙂
Des souvenirs comme s’il en pleuvait, des vrais et des inventés de toute pièce pour remplir la page absorbante de l’écriture. C’est au degré d’humidité et de tarissement que le parapluie de la voix scande le floc à floc dans cette danse immémoriale de l’ondée céleste qui chute sur la terre doucement ou avec fracas. L’image des pavés glisse sous la rétine comme un diadème éphémère perdu par Cendrillon un jour de bal, ou Poucette un jour d’école. Un porte parapluie vide est -il signe d’adieu ? La pluie fait- elle grandir ? Pourquoi les chats rouges viennent-ils aux enterrements pluvieux ? La pluie tombe aussi sur les tombes et elle s’en fout. C’est toute la vie qui passe dans ce beau texte, l’air de rien…