#écopoétique #06(02)| mes pluies automatiques sans impératif

PHARE
Les jours de pluie nous montons le phare des Baleines: l’escalier en colimaçon . Là-haut le vertige nous prend. On ne voit pas loin sur la mer à cause de la brume. Le petit phare a disparu. Mon frère râle comme à chaque fois, il voudrait manger du camembert et voir des hélicoptères. La lampe du phare est énorme, à cette heure du jour elle ne tourne pas. On se penche juste un peu pour mieux voir; les gens en bas on dirait des fourmis lentes et paresseuses certaines avec des parapluies.
ORAGE
Avec l’orage on envoie tout balader ; les vêtements cul par-dessus, même les culs ; on s’aime dans le bruit du tonnerre. La vitre tremble. Nous roulons sur le tapis. La porte du jardin s’ouvre en grand. Le vent et l’eau entrent . Après on dit : c’est ce jour-là qu’on a fait l’enfant. On mange une casserole de nouilles froides en buvant du rouge. La foudre passe avec une valise, elle nous salue
FUNÉRAILLES
Une haie de parapluies noirs, deux ont des couleurs de glace. Je ne veux pas de parapluie, mon chapeau coule sur mes épaules, la pluie redouble. L’homme de la cérémonie n’allume pas l’ampli, il ouvre grand la bouche pour faire sortir l’hommage, l’eau entre dans sa bouche; personne n’entend vraiment . Sous le trépied c’est encore sec puis l’eau se répand, une flaque, on dirait un petit lac : S’ils se sont trompé de corps dans la boîte comme de jambe sur la table d’opération ou de bracelet de naissance ? Après on va manger des petits fours . Les chaussures ont de la boue, le tapis de la salle à manger se couvre de taches. Sur la photo il regarde dans le vide.
SPECTACLE
la scène de plein air est en pente, il a plu tout la journée. On essuie encore le bois vernis des planches; quand la nuit tombe c’est presque sec. Les chaises coques n’ont jamais eu l’air aussi propres . Les spectateurs portent des K-WAy, même la mairesse, et son chignon est de travers. Deux acteurs entrent sur scène, l’une en robe à traine, l’autre en culotte dix-septième. La gouttière goutte, celle du mur qui fait fond de scène : Plic et ploc. Les acteurs se figent pour dire. L’une face à l’autre. Imperceptiblement ils glissent sur la pente humide, on dirait des patineurs immobiles. Aux applaudissement ils sont au bord du vide.
VILLE
Boulevard Magenta le caniveau déborde, le trottoir se couvre de bâches (drache ou flache). Sauter ne sert à rien. J’avance dans l’eau. L’eau entre dans mes chaussure et trempe le bas de mon pantalon. Je pense à dimanche ( nous sommes mercredi )quand on a dispersé les cendres sur la plage de Fort Mahon, petit tas comme de la craie pilée, la mer nous encerclait. D’un coup les bâches coulaient l’une dans l’autre . Nous avons reculé avec de l’eau jusqu’aux cuisses. Une voiture passe elle m’éclabousse. L’horloge de la gare du nord marque 19H07. Il était mort en mars.
DÉLUGE
Quand j’ai écrit déluge j’ai changé le nom du personnage qui va mourir. Une semaine avant d’imprimer je me suis dit D. va mourir, si D. lit il pensera que c’est lui qui meurt sur ce banc sous la pluie, il va se voir en mort avant d’être mort – quand on croise son prénom dans un livre on s’y croit toujours un peu . D. est devenu F. D a lu. D. m’a dit j’aime beaucoup tes points virgule, les virgules et les points sont comme des gouttes de pluie. Puis D. est mort, pas sur un banc, dans un drap : un matin.

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

2 commentaires à propos de “#écopoétique #06(02)| mes pluies automatiques sans impératif”

  1. Cela aurait été dommage de se soumettre au joug de l’impératif, parce la forme trouvée sied au texte, donne présence aux fragments qui se suffisent à eux-mêmes pour mettre en scène ces instants de vie. L’enfant de l’orage… Le nom que l’on donne dans un livre… Les acteurs patineurs… Qui finissent au bord du vide… C’est si beau. Merci, Nathalie.

  2. j’ai fait l’exercice avec les impératifs ( souviens-toi) je l’ai publié et j’ai éprouvé le besoin de ce texte pour accueillir autre chose dans une forme presque enfantine . Merci de ton regard Anne

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