#écopoétique #05 | Maquignons et Egalité

Si on passe par là maintenant, on ne peut pas savoir. C’est au niveau de l’angle droit formé par la rue de l’Egalité — autrefois, rue du Cimetière, mais ça mettait mal à l’aise les élus alors l’Egalité, ça renvoie à Citoyenneté, il fallait y penser — et la rue des Maquignons — on peut se dire qu’il y avait par là des marchands de chevaux. Les deux rues longent d’un côté une assez grande cité plutôt verdoyante puis des petits pavillons, implantés pour relier la ville au nouveau quartier qui avait été tenu à distance du noyau dur de la ville dans les années 70. De l’autre côté, c’est l’entreprise géante. BTP. Bâtiments fonctionnels aux fenêtres carrées, parkings où sont garés des centaines de camions et pelleteuses, accès sous contrôle avec lumière bleutée la nuit et murs surmontés de barbelés en rouleaux. A l’aplomb des deux rues, dans l’arête, quand l’espace n’avait pas été dévoré par l’entreprise, il y avait, dans les années 80, une espèce de champ en friches, invisible depuis la rue. Un terrain vague bordé par une clôture plutôt légère, côté Maquignons. Passage étroit pour accéder ni vu ni connu au terrain. Les anciens allaient y faire un tour pour ramasser des poires au pied des arbres fruitiers à l’abandon ; les adolescents zonaient un peu, le vieux Joa fumait son éternelle cigarette, pensif et courbé sur un semblant de banc. Son copain le jeune homme borderline récupérait boîtes, planches, brisures, objets privés de destination pour monter sculptures sauvages, totems que Joa tout sourire regardait en vieillissant à petit feu. Aujourd’hui, la friche a été rachetée  puis supprimée par la boîte qui a relié et augmenté ses immenses parkings pour encore plus de camions et de pelleteuses.  Mur et barbelés pour compléter l’installation. Zone industrielle. Le pays de Joa n’est plus. Le BTP a de l’avenir, c’est ce qui compte.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

Un commentaire à propos de “#écopoétique #05 | Maquignons et Egalité”

Laisser un commentaire